Le 12 Août 1871, Paul Verlaine écrivait à Émile Blémont : «Mon cher ami, je profite du retour de ma mère à Paris pour lui confier cette lettre qu'elle mettra dans les boîtes dès son arrivée et qui par ce moyen sera probablement remise ce soir même, ou demain dès l'aurore»… J'arrête là ma citation, mon propos n'étant pas de vous parler poésie, mais plus prosaïquement de la poste. Avez-vous remarqué l'admirable confiance du poète envers cette administration ? Notez que si la France disposait en 1871 de ses premières compagnies de chemins de fer, déjà, au XVIIe siècle, au début de l'administration des postes, il n'était pas impossible qu'une lettre partie à cheval de la capitale, fut délivrée le lendemain en province. J'ai souvenir d'avoir lu ça quelque part… Aucune idée du tarif appliqué alors au destinataire (c'est lui qui payait), mais ça ne devait pas être donné, cet hippogramme aussi véloce qu'un chronopost d'aujourd'hui, et peut-être pas plus aléatoire. Qui, de nos jours, serait assez naïf pour attendre qu'une lettre postée en ville soit distribuée le jour même ? Nos postiers croulent sous la pub, le courrier commercial, dans le flot desquels nos épanchements épistolaires font de plus en plus figure d'anomalies. Il est vrai aussi que nous écrivons de moins en moins de lettres, mais ce n'est pas une raison pour que ma bafouille trimestrielle à la tante Berthe traîne quatre ou cinq jours en chemin. Et cela ne va pas s'arranger, puisqu'on nous mijote une privatisation de la poste… Les dirigeants concernés ont beau nous promettre, la main sur le cœur, qu'il n'en est rien, on ne comprend pas la nécessité de contaminer un service public par des capitaux privés si la privatisation n'est pas le but final. D'ailleurs, les mœurs du privé sont déjà en place : la postière essaie régulièrement de me fourguer des enveloppes pré-timbrées et illustrées d'une vue du village, hors de prix, et les murs du bureau sont davantage couverts d'incitations à des placements financiers mirobolants que d'informations utiles. On ne voit pas pourquoi, si la commission européenne exige l'ouverture de la poste à la concurrence —ce qui est du reste fait depuis longtemps, les entreprises de messagerie rapide sont partout—, pourquoi il faudrait renoncer à notre service public ? C'est à dire à une administration qui n'est pas là pour faire des bénéfices à priori, mais pour rendre des services indispensables aux usagers. Être présente dans le moindre village, remplir patiemment sa fonction de tirelire des vieux privés de moyen de transport, des gens modestes qui passent voir avec inquiétude s'ils peuvent tirer encore vingt euros pour tenir… Avoir encore des préposées qui s'aventurent au bout des chemins de campagne, en prenant le temps, non seulement de distribuer convenablement le courrier, mais aussi de relever celui que les gens ont glissé dans la boite jaune, parfois avec des pièces de monnaie pour que la factrice y colle le timbre qui leur manquait… Ces choses là, et beaucoup d'autres encore, tout aussi essentielles, disparaîtront inéluctablement lorsque la poste sera devenue un commerce comme les autres. Les commerciaux des guichets, les techniciens de la distribution, n'auront plus de temps à perdre. Seulement du fric à récolter.
Rue89
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