Ces jours-ci, la Mairie de Claviers a organisé une collecte pour les sinistrés de Draguignan, Figanières, et autres lieux de la région. Sont recherchés des vêtements, de la literie, des meubles, des chaussures —et plus particulièrement des bottes. Les bottes, notamment, ça tombe bien: nous en avons deux paires en rab à la maison. Comme la collecte a lieu ce matin, et que ma femme et moi partons trop tôt pour nous rendre à la mairie, nous emportons nos petits dons directement à Draguignan.
Il fait un temps de curé, ce matin, ô combien! Si vous tirez de cette expression la conclusion qu'il ferait bon se la couler douce dans le jardin du presbytère, vous aurez à moitié raison. Un ciel bleu pour enfants de Marie, avec juste ce qu'il faut de nuages pour rompre la monotonie, et du soleil… Quand on descend par le raccourci qui vient des collines, tout est dans l'ordre ordinaire: les virages à droite sont bien à droite et ceux à gauche bien à gauche ; la chaussée est propre, lavée de frais. Dans le bas, en approchant des quartiers périphériques, une bouche d'égout crache de l'eau comme une fuite discrète, on pourrait presque passer dessus sans s'étonner.
On entre en ville par l'Avenue de Grasse, et l'asphalte prend une teinte ocre pâle des plus banales: on voit ça partout après une bonne pluie, au débouché d'un chemin de terre. Cependant nous sommes en ville et il n'y a plus de chemins de terre depuis longtemps. De loin en loin, on voit quelques tas de détritus informes, des traînées de gravier. Mais plus on rentre dans la ville, plus les couleurs guillerettes des façades intactes de souillures vous soulagent le cœur. Les terrasses de café de la place Claude Gay vous tendent leurs accoudoirs de fauteuils sur les pavés à peine brunis: amis touristes ne boudez pas, tout est comme avant.
Vous pensez peut-être que j'ai l'air fin avec mes bottes de caoutchouc dans le coffre? Ah oui, c'est vrai, les bottes… Nous vaquons d'abord à nos affaires dans le centre-ville, à peine encombré de quelques camions de pompiers ici et là. Des tuyaux partent des camions, et plongent dans des caves d'où ressort parfois un bonhomme équipé de ces cuissardes de pécheur à bretelles, crotté jusqu'à mi-taille. Et je me rends à la banque, parce qu'il faut bien… Le distributeur automatique est hors service, mais le sas d'entrée de l'agence bée, accueillant comme il est rare de trouver sa banque… À l'intérieur, on nettoie le sol boueux dans une odeur fangeuse. Un vigile veille, je ne sais pas sur quoi, mais il veille, c'est son métier. Trois personnes tiennent le guichet d'où ne sort pas un rond, dévolu qu'il est aux opérations sans espèces. Notez que cette agence, quoique située en bordure du centre-ville, n'est pas particulièrement excentrée, ni surtout me semble-t-il située à priori en zone inondable. En tout cas, ma troisième tentative pour trouver ailleurs un distributeur de billets en état de marche est la bonne. N'importe qui a vu pire au lendemain des fêtes de fin d'année.
C'est ensuite que les choses se gâtent, pour tenter de rejoindre le supermarché, situé lui, sur une éminence, mais en pleine zone inondable. À mesure que l'on s'éloigne du centre, les tas de débris boueux se font plus nombreux, plus élevés; on en saisit l'odeur au passage. Il y a portes ouvertes à la prison dont on emmène une vision fugitive plongeant jusqu'à ses entrailles. Et des barrières surgissent, gardées par des CRS qui vous empêchent d'entrer dans la zone industrielle. Aimables, ils viennent d'ailleurs, et sont donc infichus de vous dire par où passer pour faire vos courses. On finit pourtant par trouver, en explorant toutes les voies d'accès… Je passe sur les rayons dégarnis, pour égrener rapidement les carcasses de voitures retournées, échouées dans les coins les plus inattendus, les nuées de poussière soulevées par les camions, les lieux dévastés où il est encore interdit de circuler. La catastrophe crève encore les yeux dans cette partie de la ville où tout n'est que tas de déchets, de boue qui sèche au soleil.
Ailleurs, au cœur de la ville, la vie a repris un visage présentable, presque normal. Roulant avec nos bottes et nos modestes dons vers le Secours Populaire, qui est installé dans une petite rue, nous voyons ici et là des gens racler la boue des rez-de-chaussée. On voit de temps en temps des combinaisons fangeuses quitter quelque lieu de misère bien caché. Sur le boulevard, des jeunes filles portant gilets de la Ville de Marseille, crottées jusqu'aux oreilles, embarquent en riant dans un 4x4 qui les emmène sur un chantier. «Ah! les bottes, c'est très demandé», me dit la dame du Secours Populaire. Maintenant, sous le soleil revenu, chez nous la détresse se cache, mais elle est toujours là, et peut-être le pire est-il encore à venir.
Au fait, l'expression «un temps de curé», parlait à l'origine d'un temps à curer les ports crasseux…
Il fait un temps de curé, ce matin, ô combien! Si vous tirez de cette expression la conclusion qu'il ferait bon se la couler douce dans le jardin du presbytère, vous aurez à moitié raison. Un ciel bleu pour enfants de Marie, avec juste ce qu'il faut de nuages pour rompre la monotonie, et du soleil… Quand on descend par le raccourci qui vient des collines, tout est dans l'ordre ordinaire: les virages à droite sont bien à droite et ceux à gauche bien à gauche ; la chaussée est propre, lavée de frais. Dans le bas, en approchant des quartiers périphériques, une bouche d'égout crache de l'eau comme une fuite discrète, on pourrait presque passer dessus sans s'étonner.
On entre en ville par l'Avenue de Grasse, et l'asphalte prend une teinte ocre pâle des plus banales: on voit ça partout après une bonne pluie, au débouché d'un chemin de terre. Cependant nous sommes en ville et il n'y a plus de chemins de terre depuis longtemps. De loin en loin, on voit quelques tas de détritus informes, des traînées de gravier. Mais plus on rentre dans la ville, plus les couleurs guillerettes des façades intactes de souillures vous soulagent le cœur. Les terrasses de café de la place Claude Gay vous tendent leurs accoudoirs de fauteuils sur les pavés à peine brunis: amis touristes ne boudez pas, tout est comme avant.
Vous pensez peut-être que j'ai l'air fin avec mes bottes de caoutchouc dans le coffre? Ah oui, c'est vrai, les bottes… Nous vaquons d'abord à nos affaires dans le centre-ville, à peine encombré de quelques camions de pompiers ici et là. Des tuyaux partent des camions, et plongent dans des caves d'où ressort parfois un bonhomme équipé de ces cuissardes de pécheur à bretelles, crotté jusqu'à mi-taille. Et je me rends à la banque, parce qu'il faut bien… Le distributeur automatique est hors service, mais le sas d'entrée de l'agence bée, accueillant comme il est rare de trouver sa banque… À l'intérieur, on nettoie le sol boueux dans une odeur fangeuse. Un vigile veille, je ne sais pas sur quoi, mais il veille, c'est son métier. Trois personnes tiennent le guichet d'où ne sort pas un rond, dévolu qu'il est aux opérations sans espèces. Notez que cette agence, quoique située en bordure du centre-ville, n'est pas particulièrement excentrée, ni surtout me semble-t-il située à priori en zone inondable. En tout cas, ma troisième tentative pour trouver ailleurs un distributeur de billets en état de marche est la bonne. N'importe qui a vu pire au lendemain des fêtes de fin d'année.
C'est ensuite que les choses se gâtent, pour tenter de rejoindre le supermarché, situé lui, sur une éminence, mais en pleine zone inondable. À mesure que l'on s'éloigne du centre, les tas de débris boueux se font plus nombreux, plus élevés; on en saisit l'odeur au passage. Il y a portes ouvertes à la prison dont on emmène une vision fugitive plongeant jusqu'à ses entrailles. Et des barrières surgissent, gardées par des CRS qui vous empêchent d'entrer dans la zone industrielle. Aimables, ils viennent d'ailleurs, et sont donc infichus de vous dire par où passer pour faire vos courses. On finit pourtant par trouver, en explorant toutes les voies d'accès… Je passe sur les rayons dégarnis, pour égrener rapidement les carcasses de voitures retournées, échouées dans les coins les plus inattendus, les nuées de poussière soulevées par les camions, les lieux dévastés où il est encore interdit de circuler. La catastrophe crève encore les yeux dans cette partie de la ville où tout n'est que tas de déchets, de boue qui sèche au soleil.
Ailleurs, au cœur de la ville, la vie a repris un visage présentable, presque normal. Roulant avec nos bottes et nos modestes dons vers le Secours Populaire, qui est installé dans une petite rue, nous voyons ici et là des gens racler la boue des rez-de-chaussée. On voit de temps en temps des combinaisons fangeuses quitter quelque lieu de misère bien caché. Sur le boulevard, des jeunes filles portant gilets de la Ville de Marseille, crottées jusqu'aux oreilles, embarquent en riant dans un 4x4 qui les emmène sur un chantier. «Ah! les bottes, c'est très demandé», me dit la dame du Secours Populaire. Maintenant, sous le soleil revenu, chez nous la détresse se cache, mais elle est toujours là, et peut-être le pire est-il encore à venir.
Au fait, l'expression «un temps de curé», parlait à l'origine d'un temps à curer les ports crasseux…
la question que je me pose, c'est à propos de cette annonce de zone noire ( ou très dangereuse ) à quoi va servir cet étiquetage prévu pour l'an prochain !? quelles seront les mesures concrètes qui seront prévues pour ces zones ?
RépondreSupprimerde plus pour ceux qui auront leur bien immobilier en zone noire on peut prévoir une sacrée moins-value en cas de revente...
Isabelle, cette carte des zones dangereuse, par rapport à ces dernières inondations, me semble devoir reposer sur des bases étranges… Quid des constructions haut perchées autour de Draguignan, non inondables, mais qui ont participé à la gravité du phénomène, par exemple? En plus, dans le secteur, il y a aussi le risque lié à la présence de gypse en sous-sol, avec des grottes inconnues qui ouvrent parfois des gouffres sans prévenir… Et en effet, le retentissement sur la valeur des biens pèsera très lourd.
RépondreSupprimerUn billet, deux "petits" liens et on est avec toi, avec vous.
RépondreSupprimerEt on oublie vite football...
Merci pour cette lecture reposante, calmante...Je ne trouve pas les bons mots...en tout cas qui fait réfléchir.
Très beau billet...ce n'est pas ça non plus...
Merci et...
Le calme après la tempête...
RépondreSupprimerNicolas, comme tu dis, sauf que ça reste horrible pour beaucoup de gens. Il y a par exemple à Callas, le village voisin, un couple âgé venant de Draguignan, qui a été relogé là. Ils n'ont strictement plus rien à eux, peut-être même pas les vêtements qu'ils portent.
RépondreSupprimerGildan, j'ai failli t'oublier! Merci de ta lecture, voilà.
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