Je marchais ce matin dans la rue plein de colère. J'allais récupérer ma voiture au garage du concessionnaire Opel, dans la zone industrielle, après une panne. La seconde en quatre jours, mais ces pannes ne sont que détails qui nourrissent ma lassitude, non la raison de ma colère. C'est que je mesurais à quel point la vie d'aujourd'hui est devenue laide.
Il y aurait mille raisons graves de faire pareil constat, les miennes étaient égoïstement frivoles et par conséquent essentielles. La ville saccageait la musique que j'écoutais en marchant. J'avais les écouteurs d'un iPod aux oreilles depuis presque une heure et flottais ailleurs, porté par la voix d'Aafje Heynis interprétant des cantates de Bach. À peine sorti du petit bus qui m'avait emmené de mon coin de campagne à la ville, la fragile beauté de sa voix fut déchirée par le tapage urbain.
D'habitude, je n'écoute pas de musique en ville, sauf replié dans l'abri de la voiture, et si je suis dans la rue la circulation ne me gêne pas. Le fond sonore, les émanations des moteurs, appartiennent à la chair urbaine ; la ville bruit et pue, donc elle est vivante, tout va bien. Vous me direz qu'il faut être con pour écouter des cantates dans la circulation. Si l'on tient à écouter quelque chose, on se fourre plutôt dans les oreilles la Fanfare de la Garde Républicaine, ou les Chœurs de l'Armée Rouge. Remarque judicieuse, mais outre que ce répertoire ne figure pas dans mon iPod, je ne tenais pas à écouter quoi que ce soit en ville.
D'instinct, je voulais seulement rester où j'étais, étirer le temps d'être ailleurs. Raser les murs, emprunter chaque fois que possible une rue de traverse… Rien à faire, le roulement des monstrueux pneus de camions, le grondement des 4x4 et des bagnoles ordinaires, même les petites morveuses telles que la mienne, ravageaient tout. Et je pressais le pas au lieu de couper le son, stupide, comme s'il me suffisait de prendre la poudre d'escampette devant le moche. Il faisait déjà beau et chaud, le ciel bleu avait des traînées merdeuses de toilettes publiques, les platanes semblaient des souillons épongeant de leurs feuillages neufs la poussière et les gaz d'échappement. Le monde est écœurant.
P-S: trouver des correspondances politiques avec ce billet me demanderait peut-être trop de temps… Je vous recommande donc ces lectures de blogs, faites ce matin :
Tambour major : Quand se lève le voile de l'incertitude
M. Poireau : Le bordel belge
Variae : Copé collé
Ruminances : Anéantisseur Gattaca, en vente partout
Fut-il ou versa t'il… À quatre pattes
PMA : Une erreur de l'UMP pour favoriser la victoire à la présidentielle?
Rien de plus glauque (bizarrement dégradant)que de marcher dans une Zone Industrielle aux heures de pointe, en cherchant un arrêt de bus.
RépondreSupprimerTu comprends, c'est le royaume du gros bras, de la bagnole qui t'écrabouille et du camion qui te méprise du pneu.
L'univers en marche, quoi, pas la pour s'arrêter et rêvasser...
Oui, un univers glauque, laid et partagé par des millions de gens chaque jour qui triment en intérim chez des escrocs plus ou moins déclarés.
je d'accord avec toi, le monde, les gens, la méchanceté gratuite,je suis aussi d'une humeur massacrante ce soir...et du coup j'ai aussi un casque musical sur la tête ;-)
RépondreSupprimerMike,
RépondreSupprimerles zones industrielles semblent faites pour donner le cafard aux travailleurs (et du boulot), oui. Toutes les mêmes, aussi horribles d'un bout de la France à l'autre. Néanmoins, je parlais là d'une agression ressentie dès le centre-ville pendant le parcours jusqu'à la périphérie.
Et loin de moi l'idée de minimiser les mérites des vaillants qui subissent ça jour après jour. J'ai simplement fait le choix de les oublier, pour parler de quelque chose de plus important. Mais oui: plus important.
Iboux :
alors je te serre la main ! Bonne soirée musicale.
Le pire est peut être qu' "ils" développent ces immondes zones commerciales où le pire de la laideur est atteint...
RépondreSupprimerJe pensais être le seul à me rappeler Aafje Heynis et probablement à écouter son interprétation de "Bereite dich Zion".
RépondreSupprimerBon, le puriste lui reprochera sans doute de pomper certains tics de Kathleen Ferrier, mais j'aime...
Une correspondnace politique ? Demande toi un peu si notre énervé soupçonne même qu'exista un J.S. Bach...
Ecoeurant et individualiste je suis d'accord avec vous
RépondreSupprimerUne minute de douceur dans ce monde de brutes!
RépondreSupprimerNicolas,
RépondreSupprimeroui, en plus elles s'étendent. Apparemment aucun urbaniste n'est capable d'imaginer autre chose (mais peut-être qu'on ne leur demande pas d'essayer)…
Le-gout-des-autres,
je ne sais pas si elle a été influencée par Kathleen Ferrier qui atteignait des sommets de perfection, mais Aafje Heynis communiquait dans certaines œuvres une vive émotion (Ô amantissime sponce Jesus).
Sarko a Carla, voyons ! Que veux-tu qu'il fasse de Bach ?
Dominique,
du moins certains jours je le vois ainsi.
Eric,
merci. Et merci de la visite, en plus !
Merci pour le lien :)
RépondreSupprimerTambour Major,
RépondreSupprimerton texte était bon !