lundi 19 mai 2008

Poil à gratter

La démocratie, comme on le sait, ou l'on devrait le savoir, c'est le gouvernement du peuple. Plus précisément le pouvoir du peuple —dêmos : peuple, et crate : puissance, nous apprend le dictionnaire. Nous sommes le peuple, c'est certain. Quant à utiliser notre puissance par nous-mêmes pour nous-mêmes, nous pouvons nous rhabiller ; il y a des crates pour ça. Au fil du temps, des républiques, nous avons eu pas mal de crates cracras qui ont laissé de mauvais souvenirs, deux ou trois crates crânes qui ont sauvé le pays de situations tragiques, des crates crapuleux parfois, et des crates sympathiques l'espace d'un mandat —mais le crade du crate c'est d'être crampon et de s'accrocher au pouvoir pire qu'un morpion où l'on sait. Nous avons eu, nous avons des aristocrates, des autocrates, des ploutocrates, des technocrates, et même des presque démocrates. En réalité, le plus souvent dans nos contrées, la démocratie est un mot à l'usage exclusif du peuple destiné à lui inculquer autant que possible la soumission à l'autorité des crates. Pour cela, ces derniers ont une justification parfaite : ils sortent tous du peuple, ils en sont, donc le peuple exerce le pouvoir à travers eux. Ils nous représentent. Et tant pis pour nous si nous trouvons qu'ils nous représentent mal, une fois qu'ils ont décroché la timbale du pouvoir, ils sont tous à peu près irresponsables devant nous. Aucun moyen de sanctionner leur gestion du pays avant les élections suivantes, où, de toute manière, nous n'aurons le choix qu'entre deux ou trois variétés de crates aussi peu disposées les unes que les autres à nous rendre des comptes au jour le jour.
On ne finit plus de nous baratiner à propos de la démocratie, de nous la promettre meilleure pour demain, de nous seriner combien nous avons de la chance, nous les européens, nous les français, de vivre à l'abri des dictatures. Pourtant, en matière de démocratie, nous sommes loin du compte, singulièrement en France. Passé les cérémonies électorales, les citoyens sont privés de tout moyen de participation directe aux affaires du pays, quand la moindre des choses serait d'avoir la possibilité de sanctionner après coup les manquements à la parole donnée dans les programmes de campagne. «Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent», disait je ne sais plus qui, M. Chirac peut-être… Eh bien, dans une démocratie digne de ce nom, à tous les niveaux de la vie publique, un candidat digne de la confiance de ses concitoyens commencerait par peser scrupuleusement ses engagements, de façon à ne pas se voir accuser de mensonge. D'autre part, un peuple devrait avoir le droit de s'opposer à une mesure qu'il estime mauvaise, une fois qu'il en découvre les effets réels. Des procédures référendaires pourraient être imaginées permettant aux citoyens d'annuler une loi dès lors que certaines conditions modératrices seraient remplies. Si nous avons besoin de représentants avisés pour travailler au bien de la communauté nationale —et non pas d'une France désincarnée vouée à flatter l'égo d'un monarque républicain—, nous voulons aussi avoir notre mot à dire lorsque le besoin s'en fait sentir.
Ce n'est pas en 2012 qu'il faudrait exiger cela, c'est tout de suite, alors que grouillent déjà les ambitions présidentielles dans le panier de crabes politique. Faisons leur savoir déjà qu'ils n'auront pas nos voix sans des engagements clairs et crédibles sur l'instauration de la seule démocratie qui vaille, celle où le peuple est durablement associé au gouvernement du pays.

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