lundi 17 janvier 2011

Si j'étais Tunisien, mais je ne le suis pas…

Heureusement, les événements de Tunisie ne me regardent pas autrement que par l'élan de sympathie mâtiné de curiosité qu'ils me suscitent. Je peux donc en parler dans le bienheureux état d'irresponsabilité qui permet d'émettre des avis titrés au même degré que le verre que l'on siffle au comptoir.

Si j'étais Tunisien, je serais amer et même furibard à l'annonce de la composition du nouveau gouvernement. Pourquoi ? Eh bien, trois ministères clefs demeurent aux mains de l'ancienne fine équipe de Ben Ali : la tête du gouvernement, l'intérieur, les affaires étrangères. D'autre part, sur 19 ministres, on ne compte apparemment que trois représentants de l'opposition, appelés à des fonctions de second plan dans une période aussi cruciale : le développement régional, l'enseignement supérieur, la santé.

Le fait d'avoir été totalement écartée du pouvoir pendant aussi longtemps inflige sans doute un handicap à cette opposition privée d'expérience. Il doit aussi y avoir parmi les autres nominations des gens peu suspects de collaboration avec le régime dictatorial… Néanmoins, on voit déjà qu'il s'agit de rassurer les capitales étrangères et les ex-grands amis de Ben Ali : leurs intérêts seront préservés.

Le plus choquant réside peut-être dans l'annonce du premier ministre que tous les partis politiques qui le demanderont seront légalisés. On peut donc supposer que l'ancien parti de Ben Ali ne sera pas dissous, ce qui signifie que sa formidable puissance, son quadrillage serré du pays, demeureront intacts pour les prochaines élections.
Conclusion : Moncef Marzouki, vieil opposant à l'ancien régime, doit avoir raison de parler de mascarade, et j'ai certainement tort de parler de ce que je ne connais pas.

J'aurais mieux fait de m'en tenir à ma première idée d'un billet sur l'illettrisme : 8 % des salariés français sont illettrés. L'ayant constaté, les employeurs leurs proposent des formations aux «savoirs de base» et autres «compétences clés», des appellations destinées à ménager leur fierté. On suppose qu'être traités d'ignorants blesserait ces malheureux. Et pourtant, un tel choc serait peut-être salutaire : ces 8% ont dû peser lourd dans l'élection en 2007 d'un Sarkozy, probablement perçu comme un frère qui a réussi. En marge de l'article de l'Express qui a inspiré cette réflexion, j'ai noté l'annonce d'un supplément : «Carla Bruni-Sarkozy est prête à s'engager dans la lutte contre l'illettrisme.» Pardi ! Elle est déjà à l'œuvre.

16 commentaires:

Mr Poison a dit…

Bonjour, Jean-Louis.
Bonne analyse, tu n'es pas tunisien, moi non plus, mais je crois que tu as tout compris à la situation, c'est tellement banal dans ces histoires, malheureusement... un tyran se barre les poches pleines et place des marionnettes pour tenter de revenir un jour.

mtislav a dit…

Tu parles d'or.

Nouvel Hermes a dit…

Un peu rapide quand même! Nouveau gouvernement, oui, mais très provisoire puisque les élections auront lieu dans quelques semaines!
Et puis n'oublions pas que seul le parti au pouvoir a une expérience dans la gestion des affaires publiques... donc pas d'autre choix possible que de garder ceux qui ont une certaine compétence! Ce fut d'ailleurs la même chose à l'Est quand le rideau de fer explosa...
Alors peut-être as-tu raison quant au parti de Ben Ali. Mais celui-ci disparu et le parti n'étant qu'une coquille vide dépourvue de toute idéologie si ce n'est que d'être à la traîne du dictateur, je doute que ce part ait beaucoup d'avenir. Ceci dit, ni toi ni moi, ni personne d'ailleurs, ne peut se targuer d'être spécialiste de la politique tunisienne... pour la bonne raison que celle-ci n'existait pas. Elle reste à créer. En décembre alors que j'étais dans ce pays, je voyais cette propagande sommaire, omniprésente mais ridicule: elle ne livrait même pas le moindre message aussi naîf fût il.En tout cas par rapport à ce que je connais du pays -même très superficiellement - j'imagine mal les islamistes avoir quelque influence. Alors je pense plutôt que les "collaborateurs" de Ben Ali, pour certains, les moins impliqués dans la dictature, les plus capables, se recycleront naturellement dans le nouveau régime... Ce qui s'est partout fait et à n'importe quelle époque!

le-gout-des-autres. a dit…

Ben, quand une opposition a été régulièrement décapitée, assassinée et emprisonnée depuis 23 ans, trouver immédiatement une administration et des gouvernants immédiatement aptes à relever une bande d'escrocs qui à passé l'essentiel de son temps à l'éliminer est quasi impossible.
Il faut juste éliminer les anciens et attendre que ceux qui ont oeuvré à l'étranger ait fait leur boulot.
Et ça ne va pas de soi...

le-gout-des-autres. a dit…

"aient fait", bien sûr...

Gildan a dit…

pfff !
C'est vrai que tout cela ne se fera pas comme ça, d'un claquement de doigt !

Anonyme a dit…

Justunisie

A quoi je peux comparer mon âme Aujourd’hui?
A une cité ? Oui à une cité !
Qui comporte deux entités
Une entité noble, attirée par la vérité vraie
Et une entité ignoble attirée par l’obscure obscurité.
Si la première est tentée par le plus haut, la seconde est soudoyée par le plus bas.
http://www.tueursnet.com/2011/01/justunisie/

Le coucou a dit…

Christophe,
tout compris ? il faut vraiment le dire vite ! C'est juste le sentiment retiré de ce que j'ai lu et entendu, revu en fonction de mes choix naturels. Content de te revoir ici !

Mtislav,
d'or des fous ? ;)

Hermes,
ton entrée en matière correspond exactement à ce que j'ai dit : opposition sans expérience. Quant à la rapidité des élections, ce sera encore un handicap pour l'opposition, qui retrouvera en face d'elle la puissance de l'ancien parti unique de Ben Ali, bien structuré, sans avoir vraiment eu le temps de s'organiser.
Mais tu as raison, personne ne peut dire où iront Tunisiens, ils sont, après tout, surprenants ! La preuve: tu y étais en décembre sans avoir flairé les senteurs de la révolte… Les choses peuvent aller vite et loin. Qui sait s'ils ne vont pas s'obstiner et foutre en l'air cet échafaudage cousu de fil merdeux, pour changer de constitution, en commençant par le début ?

Le-goût-des-autres,
nous sommes donc d'accord —avec une nuance, quand même : l'opposition n'est pas entièrement constituée de tendrons sans envergure : Marzouki, par exemple, a de l'expérience. Mais pour assurer la continuité d'un gouvernement dans certains domaines où elle est indispensable, il en faut davantage sans doute.

Gildan,
clac ! Tu as vu ? c'est fait… Oui, les lendemains de révolte ou de révolution sont toujours compliqués —et il est rare que les peuples ne soient pas floués. Tellement rare que je ne connais pas d'exemple contraire.

Nicolas Jégou a dit…

Je ne sais pas si les illettrés votent. Je suis sérieux, j'en connais quelques uns, dont quelques personnages de mon blog. Ils se foutent totalement de la marche du monde... Psychologie de comptoir, puisque c'est de là que je les connais, mais ne disposant pas d'un moyen de communication, ils sont individualistes au possible et probablement bien à droite, mais ne vont pas aux urnes parce qu'ils refusent de se plonger dans les enjeux, parce que la communauté ne peut rien pour eux.

Suzanne a dit…

Que des ministres de l'ancien gouvernement participent au nouveau a quelque chose de rassurant. Pas d'épuration, pas de tribunaux hâtifs, alors qu'une dictature est tombée.

Anonyme a dit…

Il est effectivement à craindre que la situation soit récupérée... Et pas seulement en Tunisie. #benaliconnaitpas...

solveig a dit…

Faire lire "La Princesse de Clèves" à notre vénéré président, relève en effet d'un engagement courageux et d'une détermination sans faille !

isabelle B. a dit…

pour l'instant, il parait qu'en Tunisie on prend les mêmes et on recommence, faut croire que la fleur de jasmin fane bien vite...va falloir trouver autre chose !

Le coucou a dit…

Nicolas,
beaucoup d'entre eux se désintéressent en effet de la vie politique, aussi bien locale que nationale. J'ai déjà remarqué ça, moi aussi.

Suzanne,
je vous ai répondu dans le billet de ce soir (merci de l'inspiration). Résumé, pour ne pas vous déranger : j'aurais trouvé plus rassurant que le Premier ministre de Ben Ali soit désormais secrétaire d'état…

Gauche,
tout n'est pas joué, apparemment.

Solveig,
d'après une rumeur, Carla aurait de la ténacité…

Isabelle,
il y a quand même du progrès, ne voyons pas tout noir à priori, mais le fait est que les révoltes populaires sont toujours suivies de récupération.

Le_M_Poireau a dit…

C'est un peu comme en France où l'on change de gouvernement pour changer de méthode mais avec la même équipe et le même Fillon. Peut-être que Sarkozy a mal lu la liste quand on la lui a proposée ?
:-))

Le coucou a dit…

M Poireau,
un peu comme en France, mais très peu : Sarkozy n'a pas encore pris la fuite en avion, hélas !