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jeudi 7 juillet 2011

Tout écrit avec les orteils

Voilà encore un jour où j'ai traîné des pieds avant de les poser sur le clavier. Pourtant, il y aurait de quoi faire aujourd'hui, avec le rapport de la Cour des comptes qui scelle l'incompétence de Sarkozy en matière de sécurité… Ce qui me fait penser qu'en ranimant l'ordinateur, je me suis trouvé devant un jeu de Rue89 : «de quelle personnalité politique êtes-vous proche ?».

J'ai joué et répondu à l'une des dix questions posées que j'étais pour l'augmentation du nombre des policiers. Comme vous voyez, je suis en désaccord manifeste avec Sarkozy sur ce point aussi. Le plus rigolo, c'est qu'à l'issu du test je fus étiqueté proche d'Arnaud Montebourg. J'en ai été fort satisfait car c'est assez juste. Malins, les concepteurs du petit jeu !

S'il fallait démontrer d'un détail significatif le désordre dans lequel le pouvoir sarkozyste a précipité police et justice, je citerais la demande d'excuses adressée à la France par le ministre Belge de la Justice, Stefaan de Clerck. Un gamin belge de 13 ans avait disparu de chez lui le 23 juin dernier. Les autorités belges avaient donné son signalement aux voisins dans le cadre de Schengen… La France s'est aperçue le 5 juillet qu'elle détenait le gosse, arrêté pour vol de nourriture dans un supermarché le lendemain de sa disparition. 12 jours après le signalement !

S'il me fallait trouver un moyen de faire quelque chose de mes pieds sur le clavier, sans quitter l'insécurité, ce qui me semble un thème adapté, je glisserais brièvement sur l'histoire de la préfète otage d'un agité en gare de Bordeaux… Juste le temps d'enfourcher ma propre anecdote (je me demande si je ne l'ai pas déjà racontée… Tant pis !).

C'était il y a pas mal d'années, ma femme et moi venions de prendre à Montpellier un TGV pour Paris —dans un contexte de nervosité générale par crainte d'attentats.
Soudain, surgit dans la voiture un bonhomme très rouge, brandissant une carte barrée de je ne sais plus quelles couleurs… «Je suis de la police ferroviaire ! Un individu armé me poursuit, avertissez le contrôleur !»
Je me lève inquiet ainsi que d'autres personnes, pour apercevoir vaguement un type en chemise blanche qui s'agite dans la voiture voisine.
«Je tire le signal d'alarme, que je dis.
Non, surtout pas, prévenez le contrôleur !» qu'il répond, avant de s'enfermer dans le local des toilettes.

À travers la vitre de la porte de séparation dont je me rapprochai alors, un minimum d'attention permettait de constater que le type en chemise blanche était un jeune homme brandissant de la main droite un sabre de coupeur de canne à sucre, et tenant de la main gauche un bout de papier dont il semblait faire la lecture aux voyageurs…

Aller prévenir un contrôleur en passant devant le sabre de cet excité ? Heu… Je retournai m'asseoir en priant ma femme de s'installer côté fenêtre où il me semblait qu'elle serait davantage à l'abri, moi occupant le siège du couloir. L'ennui, c'est que ma femme avait suivi le même raisonnement et qu'elle voulut m'obliger à me glisser près de la fenêtre. Une petite scène de ménage s'ensuivit, à laquelle un voyageur voisin mit un terme en me disant : «allons, du sang froid, de toute façon il n'y a pas de danger.» Dépité, je cédai à mon épouse, et, une fois assis, je m'aperçus  que le voisin avait récupéré dans ses bagages une raquette de tennis posée en travers de ses genoux, dont il en étreignait fermement le manche. Pas de danger, vraiment ?

À un moment, on entendit vaguement le jeune homme crier à côté, et me levant à demi je le vis apparaître brièvement puis disparaître de mon champ de vision, de plus en plus agité. Et pendant ce temps là, notre policier ferroviaire était toujours aux toilettes…
Les années ont un peu brouillé les détails de la suite des événements, mais j'ai fini par tirer le signal d'alarme, pour la première fois de ma vie. J'ai arrêté un TGV en pleine nature, entre Montpellier et Nîmes, parfaitement.

Une longue attente suivit, durant laquelle nous vîmes le policier réapparaître. Je crois bien qu'il était soulagé tout en soupirant d'un air de reproche qu'il ne fallait pas faire ça… Nous vîmes aussi un bonhomme à la mine sévère prendre ses grandes valises sans un mot, ouvrir la porte et descendre sur la voie. Il partit à pied le long du ballast en direction de Montpellier, je n'ai jamais su s'il était arrivé à bon port.

Plus tard, une escouade de gendarmes fortement armés fit son apparition, nous étions alors descendus de notre voiture, et l'affaire se termina avec la neutralisation du jeune homme que vous vîmes tirer du train et traîner vers un fourgon sans ménagement. Ma femme protesta de loin contre la brutalité de l'arrestation, mais autant qu'il m'en souvienne personne ne l'entendit.

Que c'était-il passé ? L'homme de la sécurité ferroviaire, que j'ai appelé policier faute de connaître son titre exact, contrôlant les bagages des voyageurs au départ du train, avait confisqué le sabre du jeune homme. Furieux, celui-ci l'avait saisi par la cravate, l'étranglant. Ce que voyant, un brave voyageur Suisse s'était emparé du sabre qu'il lui avait rendu pour apaiser sa colère… Las ! Le policier n'avait dû son salut qu'à la fuite…

Tandis que le jeune déséquilibré haranguait les voyageurs de sa voiture terrifiés (une dame eut un malaise cardiaque), les contrôleurs qui se trouvaient du côté opposé du train avaient prévenu la gare de Nîmes où les gendarmes attendaient l'arrivée du TGV pour intervenir. En tirant le signal d'alarme, j'avais compliqué les choses, en somme ; sans compter une série de retards en cascade pour beaucoup de trains… On ne m'a jamais rien reproché, ouf !

vendredi 7 janvier 2011

Salut à François Mitterrand

Yann et Nicolas m'invitent chacun à sa manière à évoquer François Mitterrand —on va célébrer demain l'anniversaire de sa mort. Fort bien, mais il me faut commencer par un aveu : je ne me souviens plus de ce que j'ai réellement éprouvé à l'annonce de sa fin. Sans doute une certaine mélancolie, parce que son arrivée à la présidence de la République avait marqué ma vie, mais une mélancolie sans tristesse. Sa mort n'était du reste pas une surprise : il n'en finissait plus de mourir, on attendait cette annonce. Je ne me rappelle pas non plus avoir regardé particulièrement les images de ses obsèques à la télévision.

Par contre, je n'oublierai sans doute jamais ce soir du 10 mai 1981 où, à la maison, nous étions fascinés par l'écran, aussi remplis d'espoir que d'appréhension. Quand l'annonce de l'élection de François Mitterrand est tombée, nous exultions ; la tête déconfite de Jean-Pierre Elkabbach et de ses invités de droite décuplait notre bonheur. J'attendais ce moment depuis que j'avais obtenu le droit de vote à 21 ans, j'en avais 35. Dans les petits reportages télé de ce grand moment, on voyait des gens bien plus âgés pleurer de joie : pour eux l'attente avait été interminable !

Il y a néanmoins une image qui ne me quitte pas, de ce soir d'élection ou bien de la cérémonie plus tardive au Panthéon, je ne sais… Une foule se pressait au passage de François Mitterrand, un vieux bonhomme ému aux larmes lui tendait les bras… François Mitterrand lui serra la main, et comme les gens autour l'acclamaient, il eut un geste de modération, pinçant les lèvres. «Merde, être aussi constipé dans un moment pareil, ce n'est pas possible ! »

Ça l'était, ce héros du peuple de gauche avait la froideur et la distance d'un poisson. Je suppose que ce n'était pas totalement le cas pour ceux qui l'ont vraiment connu, mais je n'ai jamais senti de chaleur, autre que celle des mots, émaner de cet homme. Comme beaucoup, je l'ai admiré de nous avoir conduits, nous, citoyens de gauche, au pouvoir, et me suis senti plein de gratitude envers lui pour l'humanité qu'il ramenait dans la république avec l'abolition de la peine de mort, les lois sociales du premier gouvernement…

En écrivant ce billet, j'ai sous les yeux le numéro du Monde des dimanche 24 - lundi 25 mai 81… Un éditorialiste écrivait ceci : «Redécouvrir la notion de solidarité et élargir le champ du social, tel est le sens de la nouvelle dénomination «ministre d'État, ministre de la solidarité nationale»… On voit dans quels bas-fonds politiques nous avons dégringolé depuis avec le retour de la droite, jusqu'à son ministre de l'identité nationale !

L'époque de Mitterrand était une époque d'espérance. Ne serait-ce que pour cela, je préfère oublier les côtés tortueux du personnage, et associer François Mitterrand aux années heureuses.

mardi 11 novembre 2008

11 Novembre : j'avions reçu commandement…

Quand j'ai connu mon grand-père, j'étais enfant, ce qui n'étonnera personne, et lui était déjà un grand-père. Non qu'il ait eu d'autres petits-enfants avant moi, j'étais le seul, mais il me paraissait être né grand-père. De cette vieillesse qu'ont les aïeux aux yeux de ceux qui les aiment, chenue, belle de son cuir doux. Tandis que moi je chérissais cette vieillesse-là, d'autres s'apitoient en silence sur sa décrépitude. Chaudement protectrice parce que sa faiblesse véritable vous échappe. Il savait écrire et calculer, et lisait chaque jour, lentement, son journal. Il avait quitté l'école très tôt, travaillé trop jeune, comme cela arrivait alors à beaucoup d'enfants. Une bonne partie de sa vie s'était passée sous terre, au fond de la mine où il était boiseur. Son métier consistait à consolider les parois des galeries à l'aide de rondins de pins.…
Si je parle de ce vieil homme depuis longtemps disparu aujourd'hui, c'est qu'un texte récent de Zoridae a ramené la mort, mes morts, au centre de mes pensées. Et surtout parce que nous sommes le 11 Novembre, jour de commémoration de la guerre de 14-18… Mon grand-père portait une cicatrice dans un creux de sa joue droite, et il avait aussi une drôle de petite bosse dans son cou, sous la nuque. Je la sentais chaque fois qu'il me prenait sur les genoux et que je l'enlaçais. J'ai su plus tard que c'était un éclat d'obus, resté là sous sa peau pour je ne sais quelle raison. C'était un taiseux, mon grand-père, jamais il ne parlait de la guerre. Un peu de son histoire —si peu—, m'est connue par des bribes arrachées à ma grand-mère ou à ma mère, au fil des années, lorsque de pudiques allusions éveillaient ma curiosité.
Mobilisé pour le conflit, ainsi que quatre de ses frères, il avait été sérieusement blessé par l'explosion d'un obus. Soigné, on l'avait renvoyé au pays en convalescence. Il se retrouva plongé dans un monde inconnu que l'on a du mal à imaginer aujourd'hui, un univers de femmes. Des hommes, il en restait, qui descendaient comme auparavant dans la mine, mais à la surface étaient les femmes, et des vieux dont ni le travail ni la guerre ne voulaient plus. Des femmes dont les pères, les maris, les frères, se battaient ou étaient déjà morts… La présence d'un homme jeune dans son foyer, vacant à l'écart du front de taille ou de celui des combats leur parut bientôt anormale. Elles le firent savoir, j'imagine, de cette manière crue et outrageante que la frustration inspire parfois. En tout cas, mon grand-père demanda à regagner plus vite son régiment…, lequel s'était mutiné en son absence et vivait le temps des sanctions.
L'armistice signée, la paix venue, on expédia par mesure disciplinaire le régiment au Maroc, je crois. Et mon grand-père passa deux ans de plus sous les armes. Il n'avait jamais rien compris à la guerre, alors il n'en parlait jamais.