Bernard Kouchner rencontrera le dalaï lama, allez hop, adjugé ! Il ne faut pas critiquer trop sévèrement les errements du ministre des Affaires étrangères ; il ne doit pas pouvoir faire souvent ce qu'il veut, accordons-lui le crédit d'avoir lutté âprement afin d'imposer cette entrevue à son maître de l'Élysée. Imagine-t-on M. Kouchner renoncer de gaieté de cœur à une belle photo de presse avec Océan de Sagesse —traduction de dalaï lama—, alors que cette peste de Ségolène avait eu la sienne ? Et puis, n'oublions pas que le Prix Nobel de la paix et lui sont amis, paraît-il, et cela doit être rageant d'être empêché de saluer un ami de passage. On objectera que, par amitié, le ministre aurait pu se fendre d'une visite nocturne à Nantes, sans tambour ni trompette, quitte à faire savoir plus tard qu'il avait bel et bien déjà vu le cher Tenzin Gyatzo —c'est le nom du dalaï—, pour confondre les mauvais esprits. À quoi il est aisé d'opposer la fatigue probable du dalaï lama après son long voyage, et la discipline rigoureuse qu'un tel homme doit s'imposer : couché tôt, levé à l'aube… L'essentiel enfin, n'est-il pas qu'un membre du gouvernement français témoigne de l'estime du pays, même de façon ambiguë, à cette grande figure du pacifisme ? On se console comme on peut, puisqu'il n'est pas question de froisser l'ombrageux nationalisme chinois en reconnaissant dans le dalaï lama un représentant en exil du peuple tibétain. À ce propos, il me semble intéressant de citer, comme une réponse à ceux qui voient dans le dalaï lama la survivance antipathique d'un régime obscurantiste, deux courts extraits d'une biographie (laudative) de cet homme : «En 1963, le Dalaï Lama a préparé un projet de constitution, et depuis cette époque, il s'est montré un fervent promoteur de la démocratisation de la société tibétaine»… «En juillet 2001, Sa Sainteté le Dalaï Lama, a fait en sorte que ses propres pouvoirs soient réduits, et, à son initiative, les tibétains ont élu leur premier Premier Ministre en la personne du Professeur Samdhong Rinpotché». Il semble que le professeur en question soit un moine et non un laïque, mais il doit sa désignation à une élection directe par la diaspora tibétaine.
La défense des droits de l'homme, à travers les jeux olympiques et la visite du dalaï lama, aura démontré les faiblesses de M. Sarkosy comme homme d'état. Peut-être a-t-il hérité d'une situation pourrie depuis le départ : c'est à dire le choix de la Chine comme nation organisatrice des jeux. On n'ose imaginer quels arrangements douteux ont pu conduire à cette désignation, mais en élisant un pays totalitaire le CIO ne pouvait que soulever une tempête. Pour tenter de la maîtriser, cet organisme en est venu à prendre des mesures dignes de l'hôte des jeux, interdisant aux athlètes tout soutien aux droits de l'homme, si bien qu'il ne restera sans doute de l'événement que le souvenir d'une compétition internationale de bassesse. Et sur ce point, il n'est pas certain que les autorités chinoise aient mérité la médaille d'or.
Le Monde
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