Quand j'ai connu mon grand-père, j'étais enfant, ce qui n'étonnera personne, et lui était déjà un grand-père. Non qu'il ait eu d'autres petits-enfants avant moi, j'étais le seul, mais il me paraissait être né grand-père. De cette vieillesse qu'ont les aïeux aux yeux de ceux qui les aiment, chenue, belle de son cuir doux. Tandis que moi je chérissais cette vieillesse-là, d'autres s'apitoient en silence sur sa décrépitude. Chaudement protectrice parce que sa faiblesse véritable vous échappe. Il savait écrire et calculer, et lisait chaque jour, lentement, son journal. Il avait quitté l'école très tôt, travaillé trop jeune, comme cela arrivait alors à beaucoup d'enfants. Une bonne partie de sa vie s'était passée sous terre, au fond de la mine où il était boiseur. Son métier consistait à consolider les parois des galeries à l'aide de rondins de pins.…
Si je parle de ce vieil homme depuis longtemps disparu aujourd'hui, c'est qu'un texte récent de Zoridae a ramené la mort, mes morts, au centre de mes pensées. Et surtout parce que nous sommes le 11 Novembre, jour de commémoration de la guerre de 14-18… Mon grand-père portait une cicatrice dans un creux de sa joue droite, et il avait aussi une drôle de petite bosse dans son cou, sous la nuque. Je la sentais chaque fois qu'il me prenait sur les genoux et que je l'enlaçais. J'ai su plus tard que c'était un éclat d'obus, resté là sous sa peau pour je ne sais quelle raison. C'était un taiseux, mon grand-père, jamais il ne parlait de la guerre. Un peu de son histoire —si peu—, m'est connue par des bribes arrachées à ma grand-mère ou à ma mère, au fil des années, lorsque de pudiques allusions éveillaient ma curiosité.
Mobilisé pour le conflit, ainsi que quatre de ses frères, il avait été sérieusement blessé par l'explosion d'un obus. Soigné, on l'avait renvoyé au pays en convalescence. Il se retrouva plongé dans un monde inconnu que l'on a du mal à imaginer aujourd'hui, un univers de femmes. Des hommes, il en restait, qui descendaient comme auparavant dans la mine, mais à la surface étaient les femmes, et des vieux dont ni le travail ni la guerre ne voulaient plus. Des femmes dont les pères, les maris, les frères, se battaient ou étaient déjà morts… La présence d'un homme jeune dans son foyer, vacant à l'écart du front de taille ou de celui des combats leur parut bientôt anormale. Elles le firent savoir, j'imagine, de cette manière crue et outrageante que la frustration inspire parfois. En tout cas, mon grand-père demanda à regagner plus vite son régiment…, lequel s'était mutiné en son absence et vivait le temps des sanctions.
L'armistice signée, la paix venue, on expédia par mesure disciplinaire le régiment au Maroc, je crois. Et mon grand-père passa deux ans de plus sous les armes. Il n'avait jamais rien compris à la guerre, alors il n'en parlait jamais.
Si je parle de ce vieil homme depuis longtemps disparu aujourd'hui, c'est qu'un texte récent de Zoridae a ramené la mort, mes morts, au centre de mes pensées. Et surtout parce que nous sommes le 11 Novembre, jour de commémoration de la guerre de 14-18… Mon grand-père portait une cicatrice dans un creux de sa joue droite, et il avait aussi une drôle de petite bosse dans son cou, sous la nuque. Je la sentais chaque fois qu'il me prenait sur les genoux et que je l'enlaçais. J'ai su plus tard que c'était un éclat d'obus, resté là sous sa peau pour je ne sais quelle raison. C'était un taiseux, mon grand-père, jamais il ne parlait de la guerre. Un peu de son histoire —si peu—, m'est connue par des bribes arrachées à ma grand-mère ou à ma mère, au fil des années, lorsque de pudiques allusions éveillaient ma curiosité.
Mobilisé pour le conflit, ainsi que quatre de ses frères, il avait été sérieusement blessé par l'explosion d'un obus. Soigné, on l'avait renvoyé au pays en convalescence. Il se retrouva plongé dans un monde inconnu que l'on a du mal à imaginer aujourd'hui, un univers de femmes. Des hommes, il en restait, qui descendaient comme auparavant dans la mine, mais à la surface étaient les femmes, et des vieux dont ni le travail ni la guerre ne voulaient plus. Des femmes dont les pères, les maris, les frères, se battaient ou étaient déjà morts… La présence d'un homme jeune dans son foyer, vacant à l'écart du front de taille ou de celui des combats leur parut bientôt anormale. Elles le firent savoir, j'imagine, de cette manière crue et outrageante que la frustration inspire parfois. En tout cas, mon grand-père demanda à regagner plus vite son régiment…, lequel s'était mutiné en son absence et vivait le temps des sanctions.
L'armistice signée, la paix venue, on expédia par mesure disciplinaire le régiment au Maroc, je crois. Et mon grand-père passa deux ans de plus sous les armes. Il n'avait jamais rien compris à la guerre, alors il n'en parlait jamais.
9 commentaires:
En toute franchise, c'est la première fois que je vous lis et j'en suis ravi. Très beau texte , plein de ressentis.
Beau portrait que vous nous donnez à lire. Merci.
J'aime beaucoup votre style et suis touchée de cette dédicace...
Très beau texte. Merci.
émouvant et très touchant de savoir qu'en fait, personne ne sait vraiment pourquoi il est là à ce moment précis!
Yes. Très beau texte. Ca fait du bien chez un blogueur politique ! ;-)
walkingthedog, en toute franchise, comme ce que vous écrivez me plaît, je suis ravi…
Marie-George, je vous dis la même chose, et c'est moi qui vous remercie.
Zoridae, la dédicace allait de soi, après lecture de votre texte, émouvant et fort!
Homer, je vais prendre goût aux compliments…
Macao, pareil! Personne ou presque ne savait dans cette guerre là, sans doute, mais ce fut très différent pour la suivante…
Nicolas, Merci ! Est-ce que tu aurais tout lu? ;-)
Merci Macao de me faire arriver jusqu'à ce texte.
Merci Le coucou, pour ce texte, merci de me faire voyager d'ici vers d'autres encore ...
Je n'ai pas tout lu, loin de là, ni chez vous, ni chez les autres.
J'ai pioché, j'ai survolé, j'ai aimé, je reviendrai
Tulipe, vous êtes bienvenu, à bientôt.
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