«[…] Claude, sentant l'odeur de poussière, de chanvre et de mouton attachée à ses habits, revit la portière de sacs légèrement relevée derrière laquelle un bras lui avait montré, tout à l'heure, une adolescente noire, nue, (épilée), une éblouissante tache de soleil sur le sein droit pointé ; et le pli de ses paupières épaisses qui exprimait si bien l'érotisme, le besoins maniaque […]
La patronne avait poussé vers Perken une fille toute jeune, qui souriait. «Non, dit-il; l'autre, là-bas. Au moins ça n'a pas l'air de l'amuser…» […]
«L'administration française, je la connais. Vous n'êtes pas des siens. Elle créera des obstacles, mais ce danger n'est pas grand… L'autre l'est davantage, même à deux.
—L'autre?
—Celui d'y rester.
—Les Moïs?
—Eux, la forêt, la fièvre des bois.
—C'est ce que je pensais.
—N'en parlons donc plus : moi, j'ai l'habitude… Parlons d'argent.
—C'est bien simple : un petit bas-relief, une statue quelconque, valent une trentaine de mille francs.
—Francs-or?
—Vous êtes trop gourmand.
—Tant pis. Il m'en faut dix au moins. Dix, pour vous : vingt.
—Vingt pierres.
—Evidemment, ce n'est pas le diable.
—Et d'ailleurs, un seul bas-relief, s'il est beau, une danseuse par exemple, vaut au moins deux cent mille francs.
—Il est composé de combien de pierres?
—Trois, quatre…
—Et vous êtes certain de les vendre?
—Certain […]
Enfin, Perken et lui parurent extraire la pierre : elle bascula, montrant sa face inférieure couverte de cloportes incolores qui, fuyant les coups, s'étaient réfugiés sous elle;
Ils possédaient maintenant les têtes et les pieds des danseuses. Les corps restaient seuls sur la seconde pierre dégagée, qui sortait du mur comme un créneau horizontal. » […]
«La Voie royale»
André Malraux
La patronne avait poussé vers Perken une fille toute jeune, qui souriait. «Non, dit-il; l'autre, là-bas. Au moins ça n'a pas l'air de l'amuser…» […]
«L'administration française, je la connais. Vous n'êtes pas des siens. Elle créera des obstacles, mais ce danger n'est pas grand… L'autre l'est davantage, même à deux.
—L'autre?
—Celui d'y rester.
—Les Moïs?
—Eux, la forêt, la fièvre des bois.
—C'est ce que je pensais.
—N'en parlons donc plus : moi, j'ai l'habitude… Parlons d'argent.
—C'est bien simple : un petit bas-relief, une statue quelconque, valent une trentaine de mille francs.
—Francs-or?
—Vous êtes trop gourmand.
—Tant pis. Il m'en faut dix au moins. Dix, pour vous : vingt.
—Vingt pierres.
—Evidemment, ce n'est pas le diable.
—Et d'ailleurs, un seul bas-relief, s'il est beau, une danseuse par exemple, vaut au moins deux cent mille francs.
—Il est composé de combien de pierres?
—Trois, quatre…
—Et vous êtes certain de les vendre?
—Certain […]
Enfin, Perken et lui parurent extraire la pierre : elle bascula, montrant sa face inférieure couverte de cloportes incolores qui, fuyant les coups, s'étaient réfugiés sous elle;
Ils possédaient maintenant les têtes et les pieds des danseuses. Les corps restaient seuls sur la seconde pierre dégagée, qui sortait du mur comme un créneau horizontal. » […]
«La Voie royale»
André Malraux
L'auteur des courts extraits ci-dessus, arbitrairement sortis de leur contexte romanesque, est donc André Malraux, la statue du commandeur au ministère de la culture. On aurait sans doute du mal à trouver quelqu'un pour contester le prestige qu'il acquit dans ses fonctions de Ministre d'État aux affaires culturelles.
Après lui, même si Jack Lang sut reprendre le rôle avec quelque éclat, les titulaires de ce portefeuille parurent cruellement manquer d'envergure.
Le dernier à prendre le poste, Frédéric Mitterrand démarre mal son ministère, comme on sait, et semble presque déplacé à ce poste avec son image légère d'homme venu des variétés. Après tout, chaque Président s'entoure de collaborateurs à sa mesure, et nul ne peut prédire quelle empreinte M. Mitterrand laissera de son passage dans notre paysage culturel.
Mais revenons à André Malraux… Ces passages sont donc tirés du célèbre roman qu'il écrivit, inspiré par ses mésaventures cambodgiennes, quelques années auparavant. À la suite de gros déboires financiers, il s'était rendu au Cambodge où, son épouse et lui, aidés d'un ami, avaient découpé un bas-relief dans un temple d'Ankor, avec l'intention de le revendre, cher. Arrêté en 1923, il écopa d'une condamnation à trois ans de prison, mais grâce à la mobilisation des intellectuels parisiens bientôt obtenue, il bénéficia en appel d'une peine réduite avec sursis…
Nous avons donc eu un ministre, au demeurant excellent, et prestigieuse figure de notre littérature, ancien pillard condamné en justice. S'il fallait exiger des hommes et femmes un passé immaculé pour remplir des fonctions gouvernementales, nous aurions sans doute du mal à les dénicher.
10/10/2009 P-S. Avant de clore, pour longtemps j'espère, le chapitre Frédéric Mitterrand, j'aimerais vous signaler encore des billets lus ce matin: ceux de Julie, «Un boxeur svp pour Monsieur Mitterand !», et de Mrs Clooney , découvert via PMA…
16 commentaires:
mmm... voilà donc la réponse à mon billet d'hier ! c'est une sorte d'aveu d'impuissance ? Une tolérance obligatoire ?
Donc il faudrait tout laisser aller, de la petite faute à celle un peu plus grosses...
C'est la fin des blogs politiques dis moi...
Je me demande quelle position est la plus dérangeante, la tienne ou la mienne ?
Je me sens mal à l'aise ici. Dommage.
Rimbus,
ce n'est pas une réplique, encore moins une attitude mûrie. J'ai un blog pour réfléchir, et éventuellement faire le tour de toutes les contradictions, à commencer par les miennes.
Babelouest,
comme argument, c'est un peu mince, dommage.
Rimbus, j'ajoute une chose: ce n'est pas une réponse dans la mesure où, comme toi, je voudrais des gens impeccables au gouvernement. De là à les juger sur leur vie intime, leurs éventuels égarements passés —si ces derniers ne les ont pas fait déchoir de leurs droits civiques—, j'avoue que je suis très mal à l'aise.
Ne mettons pas sur le même plan un pillard et un homme qui part en Thaïlande pour enc..... des garçons réduits en esclavage.
Ce n'est pas comparable.
Les hommes qui dépensent des milliers d'euros pour aller dans les bordels de Thaïlande ne peuvent pas, et ne doivent pas, être mis sur le même plan que des pillards d'oeuvres d'art.
BA, entièrement d'accord. Entre des pierres, même très belles, et des humains surtout vulnérables, la différence est patente.
@ le coucou : je comprends, et je reconnais que le sujet est délicat. C'est bien d'avoir ressorti cette affaire (connue mais oubliée).
Moi je me suis souvenu de Dominique Ambiel, qui a été condamné il y a quelques années, une sale affaire qui me fait penser à celle de Mitterrand, lui a été laché par tout le monde. Mais ce n'était pas un ministre de la culture, juste un chef de cabinet de Raffarin et pas un écrivain, juste un homme de télévision.
C'est bizarre que personne chez les chroniqueurs mondains, n'ait évoqué ces 2 affaires, Malraux et Ambiel...
Désolé coucou, "baiser" un système, s'amuser dans l'art de la débrouille, ça ne laisse pas de trace sur un être: là est toute la différence.La morale, pour dire la vérité, pour autant qu'aucune personne dans son corps et son coeur n'en soit victime, je mn fiche. Pour le reste...
BA,
Babelouest,
je ne vais pas polémiquer avec vous : ce que j'avais à dire est dans le billet, et vos points de vue sont parfaitement valables…
Rimbus,
heureusement que je suis là: les chroniqueurs mondains devraient sous-traiter chez moi.
Je suis très surpris d'une telle colère contre Frédéric Mitterrand et je trouve qu'il fait un bon gibier. De l'argent, de l'entregent, du cul et de l'exotisme !
J'espère que ça nous fera tout l'hiver !
:-))
Ah merde ! Pourquoi ai-je écrit mon billet avant d'avoir lu celui-ci, ça m'aurait éviter une fatigue. Bon, je corrige le mien pour ajouter un lien.
M.Poireau,
il a si peu de chose pour lui (quoi, au fait?), qu'il fait en effet une cible parfaite.
Nicolas,
déjà debout! Je n'avais pas vu ton commentaire.
Je vais lire dès que j'aurai bu du café, ça urge!
Hermes, je t'ai oublié… Oui, ce n'est pas tout à fait le même monde non plus… Enfin, bon, je ne sais pas…
Merci Coucou enchanteur (ou chanteur, saltimbanque, mais véritable lecteur de Malraux) d'avoir cité ma modeste contribution au débat Mitterrand sur L'ADVISION JULIE (le nom de mon blog : tiens, une fille qui émet des analyses politiques, bizarre, bizarre, en plus elle est lesbienne cette coquine et donc doit faire gaffe à ce qu'elle écrit, hein?)... Juste un mot : Malraux, il était pas un peu drogué ??? Pouah !
Julie, vous allez rire: j'avais oublié ce lien d'hier, mais pas votre excellent article, en revanche. Si bien que je l'ai remis en lien aujourd'hui…
Ceci dit, il y a heureusement pas mal de femmes qui émettent des analyses politiques! Vous en trouverez quelques unes dans ma liste de blogs.
Malraux et la drogue, je ne sais plus… L'opium, peut-être…
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