Mon cher cousin, je t'écris cette lettre de la planète Terre, plus précisément de France où j'ai décidé de prendre des vacances. La France est un pays extraordinairement distrayant, sans doute le plus fou de ce monde, bien que je ne connaisse pas encore les autres régions. C'est la mauvaise saison, ici, et pour remédier aux désagréments de l'hiver, les gens ont eu l'idée d'y caser une période de fête. Ça s'appelle la Noël et le Jour de l'an. En principe, cela ne devrait durer que deux journées, mais en pratique l'ambiance festive s'installe dès le début du mois de décembre pour ne disparaître qu'aux premiers jours de janvier.
Il fait froid, les ciels sont grisâtres et la nuit tombe tôt, mais les gens suspendent des guirlandes lumineuses au-dessus des rues: on en trouve jusque dans le moindre village. Le décor est très gai, on pourrait s'attendre à ce que les Français sortent de chez eux pour chanter, danser, s'embrasser, copuler sous les illuminations. C'est en tout cas ce qui arriverait chez nous, mais pas ici. Les gens trottent de tous côtés pour faire leurs courses de Noël, ils n'ont pas le temps de se réjouir.
Cette débauche de lumières, qu'accompagne une avalanche de catalogues et de prospectus bourrant les boites aux lettres, est en réalité une opération mercantile. Comme je te le disais dans une de mes lettres, il semble que dans ce monde rien n'existe qui ne soit pas matière à commercer. Et le comportement des Français est des plus extravagants.
Ainsi, il s'agit pour le marchand d'acheter un produit le moins cher possible pour le revendre au consommateur au prix le plus élevé possible… Oui mon cousin, le commerce c'est du vol! Pourtant, la plupart du temps les gens que j'ai pu rencontrer s'en accommodent. Ils disent qu'ils n'ont pas le choix, et ce n'est que très rarement qu'ils pillent les magasins. On peut les comprendre, note bien, car ces coups de colère sont sévèrement punis. S'il est permis au marchand de voler le citoyen consommateur, l'inverse est illégal.
Remarque, cela s'explique: le pillard s'empare d'un bien sans rien donner en échange, tandis que le marchand, s'il réclame trop d'argent, cède du moins un produit en contrepartie. Le premier vole, le second fait de «la marge». Je sais bien qu'il te faudra un moment pour saisir la nuance, mais elle existe, je dois le reconnaître.
Cette question de l'argent et du pouvoir d'achat joue un grand rôle ici en ce moment, comme je te l'ai déjà raconté. Tu dois te souvenir de ce dirigeant suprême que les Français se sont donné, un certain Nicolas Sarkozy… Eh bien, figure-toi que cet homme est le meilleur ami du commerce. Cette année, il a décidé d'être le Père Noël des restaurateurs dès l'été, et il leur a offert un cadeau qui coûtait 3 milliards d'euros: la baisse de la TVA à 5,5%, ça s'appelle.
Pour que le pauvre peuple Français, qui croule sous les dettes et le chômage, ne s'insurge pas, M. Sarkozy a fait promettre aux restaurateurs qu'ils baisseraient leurs prix et embaucheraient du personnel. 20000 employés, plus 20000 apprentis en deux ans, s'ajoutant aux 15000 créations d'emploi qu'ils déclaraient déjà annuellement. Soit 70000 emplois sur deux ans, selon mes calculs…
Les deux ans ne sont pas encore écoulés, évidemment, mais d'après ce que l'on raconte, ils n'ont même pas réalisé le tiers de cette promesse. Quant aux prix, mon cousin: je ne t'inviterai pas au restaurant, si tu viens me voir. Pas plus tard que ce matin, en écoutant une radio d'ici, France Inter*, j'ai appris que les grandes chaînes de restauration française avaient parfois baissé légèrement le tarif des plats…, mais augmenté considérablement le prix de certaines boissons à côté. «Quand le prix de l'assiette baisse, le prix de la tasse monte», disait l'enquêtrice.
Heureusement pour ces braves Français que j'aime bien, ils ne leur reste plus que deux ans et quelques mois avant la prochaine élection présidentielle. Ils ne manqueront pas cette occasion d'envoyer leur président faire la plonge, j'espère.
Je te quitte sur cette bonne pensée, mon cher cousin: c'est l'heure de mon bain de lune.
*France inter, journal de 7h30 du 11/12/09
Il fait froid, les ciels sont grisâtres et la nuit tombe tôt, mais les gens suspendent des guirlandes lumineuses au-dessus des rues: on en trouve jusque dans le moindre village. Le décor est très gai, on pourrait s'attendre à ce que les Français sortent de chez eux pour chanter, danser, s'embrasser, copuler sous les illuminations. C'est en tout cas ce qui arriverait chez nous, mais pas ici. Les gens trottent de tous côtés pour faire leurs courses de Noël, ils n'ont pas le temps de se réjouir.
Cette débauche de lumières, qu'accompagne une avalanche de catalogues et de prospectus bourrant les boites aux lettres, est en réalité une opération mercantile. Comme je te le disais dans une de mes lettres, il semble que dans ce monde rien n'existe qui ne soit pas matière à commercer. Et le comportement des Français est des plus extravagants.
Ainsi, il s'agit pour le marchand d'acheter un produit le moins cher possible pour le revendre au consommateur au prix le plus élevé possible… Oui mon cousin, le commerce c'est du vol! Pourtant, la plupart du temps les gens que j'ai pu rencontrer s'en accommodent. Ils disent qu'ils n'ont pas le choix, et ce n'est que très rarement qu'ils pillent les magasins. On peut les comprendre, note bien, car ces coups de colère sont sévèrement punis. S'il est permis au marchand de voler le citoyen consommateur, l'inverse est illégal.
Remarque, cela s'explique: le pillard s'empare d'un bien sans rien donner en échange, tandis que le marchand, s'il réclame trop d'argent, cède du moins un produit en contrepartie. Le premier vole, le second fait de «la marge». Je sais bien qu'il te faudra un moment pour saisir la nuance, mais elle existe, je dois le reconnaître.
Cette question de l'argent et du pouvoir d'achat joue un grand rôle ici en ce moment, comme je te l'ai déjà raconté. Tu dois te souvenir de ce dirigeant suprême que les Français se sont donné, un certain Nicolas Sarkozy… Eh bien, figure-toi que cet homme est le meilleur ami du commerce. Cette année, il a décidé d'être le Père Noël des restaurateurs dès l'été, et il leur a offert un cadeau qui coûtait 3 milliards d'euros: la baisse de la TVA à 5,5%, ça s'appelle.
Pour que le pauvre peuple Français, qui croule sous les dettes et le chômage, ne s'insurge pas, M. Sarkozy a fait promettre aux restaurateurs qu'ils baisseraient leurs prix et embaucheraient du personnel. 20000 employés, plus 20000 apprentis en deux ans, s'ajoutant aux 15000 créations d'emploi qu'ils déclaraient déjà annuellement. Soit 70000 emplois sur deux ans, selon mes calculs…
Les deux ans ne sont pas encore écoulés, évidemment, mais d'après ce que l'on raconte, ils n'ont même pas réalisé le tiers de cette promesse. Quant aux prix, mon cousin: je ne t'inviterai pas au restaurant, si tu viens me voir. Pas plus tard que ce matin, en écoutant une radio d'ici, France Inter*, j'ai appris que les grandes chaînes de restauration française avaient parfois baissé légèrement le tarif des plats…, mais augmenté considérablement le prix de certaines boissons à côté. «Quand le prix de l'assiette baisse, le prix de la tasse monte», disait l'enquêtrice.
Heureusement pour ces braves Français que j'aime bien, ils ne leur reste plus que deux ans et quelques mois avant la prochaine élection présidentielle. Ils ne manqueront pas cette occasion d'envoyer leur président faire la plonge, j'espère.
Je te quitte sur cette bonne pensée, mon cher cousin: c'est l'heure de mon bain de lune.
*France inter, journal de 7h30 du 11/12/09
10 commentaires:
Ta lettre un peu persane est très...perçante! Mais du commerçant au consommateur, n'est-ce pas le même lien qui fait que l'un est le désir de l'autre, ou même sa réalité?
Pourquoi consommer quand on peut vivre au minima, avec la convivialité, l'amour, l'amitié, le quotidien jamais recommencé, le goût des choses simples... Y compris les ciels grisâtres et la nuit qui se couche tôt?
Hermes,
eh oui! pourquoi consommer? C'est ce que je me demande parfois devant mon ordinateur dont je tire quelque plaisir, et devant plein de trucs dont j'ignorais l'existence à vingt ans, et qui me sont devenus familiers —mais peut-être pas indispensables, j'en conviens. Consommer recouvre en fait des luxes qui ont changé notre vie et nous ont changés aussi, profondément. Pour être capable de vivre heureux au minimum, il faudrait une sacrée cure de désintoxication pour la plupart des gens, dont je suis. Remarque: cela me fait penser que j'ai cessé de regarder la télé depuis des années, et cela du jour au lendemain, sans le moindre regret…
http://www.france-info.com/france-societe-2009-12-11-les-restos-du-coeur-ont-de-plus-en-plus-de-succes-et-le-deplorent-379816-9-12.html
c'est pas pour dire mais c'est aussi hanuccah, une belle fête pour les marchands de bougies , enfin pas n'importe quelles bougies et des beignets bien huileux pour tout le monde, genre très très calorique.
Joli billet qui, en dépit des mauvaises nouvelles qu'il transmet par delà les espaces intersidéraux et des réalités grisâtres qu'il contient, est empreint d'une certaine poésie...
J'aime bien et je te souhaite un bon week-end sur la Terre...
Bon rébus à tous demain! Je ne pourrai pas participer, hélas!...
Une bafouille bien torchée comme dirait"l'autre"J'aime ta plume surtout quand elle offre le rêve!Bonne journée "mon coucou"!
BA, :-)
Martine, la fête des lumières, si j'ai bien compris… Vive les fêtes, l'hiver en est réchauffé.
Epamin'
merci beaucoup, je ne vais pas regagner ma soucoupe de duvet, juste le rébus à finir pour demain. C'est bien dommage que tu ne puisse participer… mais il y en aura d'autres.
Macao,
merci, bonne soirée, ou plutôt fin de soirée pour toi!
Epamin', "je ne vais pas tarder à regagner ma soucoupe…" il est temps, en effet!
On ne comprend pas bien pourquoi l'argent qui était simplement le symbôle-transfert d'un échange potentiel a pris autant d'importance, est devenu lui-même une valeur. C'est tout à fait idiot !
Pour les fêtes de Noël, une tradition qui a quand même du bon : obliger plus ou moins à se retrouver en famille, malgré nos vies de surbookés !
:-))
[Si tu ne connais pas : http://filaplomb.cowblog.fr/34.html C'est un peu comme un martien rencontrant les terriens ! ].
M. Poireau,
le goût du lucre ne date pas d'hier, mais plus le monde s'est modernisé, plus il s'est développé au-delà du supportable.
Eh oui, Noël n'a pas que des inconvénients, heureusement! (je vais voir l'adresse, je ne sais pas encore si je connais ou non…)
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