lundi 15 septembre 2008

Contribution expérimentale à la laïcité positive

Quelle place reviendrait à la chose religieuse dans une laïcité positive, et d'abord, comment rendre l'esprit laïc plus positif qu'il ne l'est spontanément ? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante jusqu'à présent dans les blogs, pourtant inventifs généralement, non plus que dans les remarques de Max Gallo à ce sujet. C'est pourquoi, en toute humilité, je risquerai l'idée que l'école laïque pourrait prendre en compte, du primaire au secondaire, non l'étude du catéchisme ou de la foi —enseignement réservé aux gens qualifiés—, mais l'apprentissage du lexique religieux dont l'ignorance constitue un grave handicap pour les jeunes d'un milieu défavorisé. Ainsi des pans entiers de notre littérature, y compris celle issue de l'imaginaire républicain, ne leur tomberaient plus des mains. En cette matière aussi, l'illettrisme est source d'appauvrissement.
J'en veux pour preuve l'expérience scientifique suivante, conduite à l'Université de Cambyrat, sur un échantillon de vingt-cinq étudiants âgés de 17 à 19,5 ans. Six d'entre eux ont put lire le document ci-dessous jusqu'au bout, et deux seulement ont été capables de l'expliquer partiellement.

Une leçon de choses

Ils formaient une famille quelque peu étrange, que les gens du voisinage regardèrent, un temps, d'une curiosité défiante. Les Poussegrain venaient de la campagne. Le père, veuf taciturne et doux d'apparence, vendait du fourrage sec sur la rive droite de la Seine. Un revers de fortune, consécutif à un gros chagrin, l'avait amené à s'installer ici, à Paris, fort à l'étroit dans cette maisonnette proche de Saint-Eustache, avec ses deux enfants et une seule servante. Les voisins avaient tout de même aperçu de beaux meubles, un grand tableau, du linge fin, ainsi qu'une vaisselle abondante, déchargés d'un tombereau le jour de l'emménagement. Enigmatique fut le manège du père et des enfants, lorsqu'ils promenèrent le grand tableau, porté verticalement par son cadre, tout autour du pâté de maisons, comme s'ils voulaient faire visiter le quartier à la jeune femme souriante peinte sur la toile. Bizarre, l'impression qu'ils donnaient de converser avec le portrait, mais là n'est pas la question… Ils finirent par rentrer le tableau, ils s'installèrent. On s'habitua.
Les enfants, le garçon d'une douzaine d'années, la fillette sa cadette d'un an, ne se quittaient jamais. Daniel et Rosalie allaient à l'école au couvent de la rue Dubec, qui à l'époque portait un nom moins célèbre. Ils s'y rendaient à pied, main dans la main, et ne se séparaient qu'à l'instant d'entrer, l'une à l'école des filles, l'autre à celle des garçons. Ils étaient châtains tous les deux, les yeux verts aux jours gais, mordorés quand il y avait des larmes dans l'air —toujours proprement vêtus, gracieux. Ils apprenaient facilement en classe, chacun de son côté, ils chantaient bien, les soeurs les citaient en exemple.
Ils traversaient pourtant un période dissipée, bien que cela ne se vît pas du premier coup. Une petite lumière follette du regard, le sourire un peu trop angélique… Bref, il arriva que la servante de leur père, qui avait eu autrefois commerce avec le diable, mourut subitement d'une damnation cérébrale en pleine nuit. La maison étant exiguë, il apparut impensable de la laisser dans sa mansarde au sommet du petit escalier à vis, au risque de s'exposer au scandale d'avoir à sortir sa bière cordée, par l'oeil de boeuf, au moment des obsèques. Poussegrain père la descendit pendant qu'elle était souple au rez-de-chaussée, où l'on entreposait tous les meubles et objets en surnombre, dans l'attente de jours meilleurs.
La servante fut allongée sur une table à gibier recouverte d'un drap blanc, entre le dos d'une crédence et des portes d'armoires démontées. La pièce regardait la rue par sa fenêtre de devant, et des jardins par celle de derrière. Cette dernière ouverture, dérobée, percée presque de plein pied, permit à Daniel et Rosalie d'organiser des visites à caractère scientifique et lucratif.
Pour un sou chipé aux parents, les petits bourgeois du voisinage purent entrer regarder la mort en face. Avec deux sous, on leur montra l'étonnante contractilité musculaire de la jambe et du bras, au contact d'un instrument de dévotion, contractilité plus prononcée à l'aide d'un fort rosaire à quinze Pater, qu'à celui d'un léger chapelet à cinq dizaines d'Avé. En échange de trois sous, ils découvrirent l'étrangeté d'un saut de carpe post-mortem, sous l'effet d'une goutte d'eau bénite, astucieusement projetée au niveau épigastrique. Contre cinq sous, on troussa la gisante, afin que les plus téméraires pussent se familiariser avec la féminité en son mystère.

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