Il y a des truismes qui tuent —vous savez, ces portes ouvertes qui vous précipitent au fond du ridicule si vous les enfoncez… Ainsi, j'écris que le monde est mal fait, et vous allez vous taper sur le ventre d'hilarité. Moi aussi d'ailleurs, je réagirais de même si vous veniez me dire d'un ton pénétré que le monde est mal fichu : je me taperais sur le ventre, au moins en pensée pour ne pas vous vexer. Nous savons tous que c'est parler pour ne rien dire, que réparer l'état du monde n'est pas à la portée d'un bricolo du verbe. Déjà, Dieu, le bricolo suprême, a loupé son truc, alors ! Le monde est mal fait quand même et, du coup, elle s'est tapé sur le ventre du haut de trois étages. Elle en est morte, cette jeune femme d'un quartier d'Istres, que la police et un huissier venaient expulser. Il y a du malheur partout, souvent même dans nos placards, nos consciences en deviennent calleuses et la compassion que ce type de drame nous inspire est généralement des plus brèves. Nous n'y pouvons rien. Individuellement, lorsque nous ne sommes pas directement impliqués, notre impuissance est évidente. C'est notamment pour pallier cela que nous sommes organisés en société, avec des élus, un gouvernement, des administrations, des services en pagaille. Dans le cas de cette femme, la mécanique sociale s'est coincée de la manière la plus stupide qui soit : sans qu'on le devine, elle allait trop mal pour répondre aux demandes de rendez-vous que lui adressaient les services sociaux, afin de rechercher une solution à ses problèmes matériels. Murée dans son mal de vivre. C'est une situation imprévue, car comment imaginer le degré exact de souffrance qui se cache dans un dossier vide d'informations, à part la mention des loyers impayés depuis deux ans ? Elle se noyait en silence et l'administration a besoin d'entendre crier au secours pour agir. Du côté des créanciers, on avait su faire le nécessaire pour obtenir l'application de la loi. C'était logique. Il reste simplement à inventer un moyen d'insuffler de l'humanité dans l'administratif. Le maire d'Istres déclare se sentir coupable, je ne sais pas si c'est justifié ou non, et si la mort de cette femme va le hanter, mais le monde est mal foutu, c'est sûr.
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