Ce dimanche, la lecture du n°18 de Vendredi, me laisse perplexe. Comme d'habitude, j'ai pris plaisir à découvrir pas mal de billets qui m'auraient échappé sans lui, cet éclectisme heureux, reflet de celui du Web même, et la diversité des opinions qui s'y côtoient —ce qu'aucun autre journal ne propose, à ma connaissance. Pourtant, les billets rassemblés derrière le titre de la Une, «Culture: nous sommes tous des pirates», me laissent un certain malaise. À ma manière, je me suis fait l'écho ici des inquiétudes de la communauté des internautes quant aux intentions du gouvernement actuel au sujet d'internet. Il me semble évident, à moi aussi, que le but affiché par le pouvoir de combattre les dangers d'internet et ses abus, vraisemblablement ni plus ni moins présents que dans la vie courante, masque mal la volonté d'en prendre le contrôle. Et de ce point de vue, la loi Hadopi en préparation, aussi bien que la censure des bornes Wifi chère à Mme Albanel, sont à combattre. C'est donc sans état d'âme que je m'associe au mouvement initié par La quadrature du net, ce dont témoigne le bandeau noir installé dans la marge du blog. Toutefois, je regrette que la rédaction de Vendredi, en publiant des extraits d'un ouvrage de Lawrence Lessig, les ait réduits à la démonstration de la nocivité d'une emprise légale sur le Net, ainsi que des excès de la propriété intellectuelle. Je ne connais pas le bouquin de L. Lessig, mais je suppose que, professeur de droit spécialisé dans la propriété intellectuelle, il doit bien formuler quelques propositions destinées à assurer la juste rémunération d'un travail intellectuel ou artistique. Parce qu'enfin, tout comme n'importe quel amateur de musiques, d'images, ou de textes, l'auteur d'une œuvre ne vit pas de l'air du temps. Il travaille. Avant que les produits de son art aient été admis à la diffusion auprès du public, il s'est astreint à une sorte d'apprentissage, il a parfois galéré, connu stress, découragement, espérance. Ce qu'il fait, au bout du compte, est donc un travail aussi respectable qu'un autre. Qui est disposé à sourire si je viens lui piquer sa moto, me servir dans son réfrigérateur, parce que j'ai envie d'une balade, ou une pointe d'appétit à satisfaire? J'admets sans peine que dans le monde nouveau en cours d'épanouissement sur le Web, les anciens acteurs de la culture ont un effort à faire pour s'adapter. Il me paraît non moins indispensable qu'un discours pédagogique ramène tout le monde au sens des réalités.
Quand je publie avec mon épouse des chapitres d'un roman épuisé, je les mets volontairement à la disposition du lecteur. Si l'envie prend ce dernier de les imprimer pour les faire lire à sa famille, ou à ses amis, je n'y vois aucun inconvénient. Je n'appelle pas cela du piratage. En revanche, à titre d'exemple, si je considère le cas d'un enseignant qui tirerait une vingtaine d'exemplaires du même texte, afin d'en faire profiter sa classe, je ne suis plus d'accord. On me vole en usant gratuitement de mon métier pour faire son métier.
22 commentaires:
Superbe billet ! J'ai envie d'en reprendre chaque ligne pour la commenter, pour essayer d'en dévoiler le non-dit. Peut-être demain, si je m'en ressens (et si j'ai le temps). Et, alors, ce sera chez moi. Je vous tiens au courant.
Vous imaginez, on est censés, nous, les instits, ne rien exploiter : films en vidéo, chansons, textes... Pas simple non plus ! Surtout que nous n'en tirons pas de profit personnel... mais soit.
Didier, merci, et j'attends votre billet avec autant d'intérêt que d'impatience!
Marie-Georges, je sais, nous rencontrons souvent des instits, des profs confrontés à ces problèmes. Vous n'en tirez pas de profit personnel, exact, mais vous percevez un salaire pour enseigner. Quoique assimilés en certains cas à des salariés, nous n'avons pas de salaire: de modestes droits d'auteur sur nos textes, nos bouquins…
Merci pour ce billet. J'ai du mal avec la lutte anti-Hadopi qui oublie le piratage.
Certes, nous percevons un salaire.
Alors d'accord, ne faisons pas lire certains beaux textes aux élèves, contentons-nous de ce que les éditeurs de manuels proposent. Pourquoi pas si cela sauve vraiment le gagne-pain des auteurs. Mais je n'en suis pas persuadée. Je ne saurais trop vous dire pourquoi. Je suis d'accord avec votre billet sauf que... J'aurais réagi autrement concernant l'exemple final, c'est drôle. Cela dit je suis totalement de parti-pris :D
Au fait je cherchais un texte pour mes élèves de vendredi, merci pour le lien :D
Plus sérieusement, ça m'intéresse de savoir ce qui vous gêne (évidemment que c'est un travail qui mérite rétribution, je ne mets absolument pas cela en cause). Vous parlez des copies. Si je me contente de lire votre texte à ma classe, quid ? (je sais, ça a l'air bête mais c'est une vraie question que je me pose...)
j'avais mi s le bandeau, je l'ai enlevé. Je ne suis pas certaine d'être totalement d'accord avec ce tout ou rien. En plus, comme la réponse des blogs et sites est molle, cela ne sert pas à grand chose.
voir http://www.henrymichel.com/reseaux/black-out-fr... très intéresant et intelligent
C'est un débat qui secoue la toile. En fait, tout part d'une confusion entre "pillage" et piratage. Il y a ceux qui tlééchargent à outrance, ceux pour qui c'est occasionnel. Ce sont des "pilleurs". Ils ont un impact - moindre selon moi - sur le marché du multimédia. Soit. Mais un pirate, c'est autre chose: il détourne, trafique le produit. Ce n'est pas le cas de tout-un-chacun.
Et ce qui gêne le plus dans Hadopi, ce n'est pas la loi: c'est avant tout le fait qu'elle soit anti constitutionnelle et condamne sans aucune preuve ni moyen de défense possible.
Et quid de la classe équipée d'ordinateurs et dont l'enseignant utilise tes écrits via le ouebe ?
Intéressé au premier chef par la protection intellectuelle, je me suis aperçu au fil des années que les motifs avancés pour réprimer ne valaient pas plus cher que les raisons invoquées pour pirater.
Le besoin de tout contrôler, la tentation d'installer un Web "à la chinoise" sont communs à quasiment tous les pays.
Le coup du "le CD c'est trop cher" est une bonne excuse qui ne résiste pas à l'analyse, tout comme la réplique envisagée par les majors de l'édition musicale. Dans cette affaire, le pouvoir, comme d'habitude est à la fois manipulé par le groupe de pression des majors et manipule ce groupe de pression, le Parlement et les citoyen pour y caser son propre besoin de tout ficher et de tout filtrer...
Faites comme si j'avais mis un "s" à citoyen, s'il vous plaît...
Juan, ça fini par devenir criant. Merci de ta visite.
Marie-George, il faudrait plus d'un billet pour vous répondre, il faudrait les billets de dix ou vingt auteurs pour tenter de vous convaincre! Je connais bien vos arguments, et je sais que vous êtes nombreux à les partager. Les enfants, vos élèves ont droit à découvrir d'autres textes que les extraits des manuels, nous sommes d'accord. Toute l'année, des auteurs vont à la rencontre d'enfants qui ont lu certains de leurs livres à l'école, des enfants de tous les milieux, aussi bien défavorisés que de familles aisées. Pour cela, des budgets sont trouvés.
Et puis, c'est un fait: un livre, ça ne né pas par l'opération du saint-esprit, c'est le fruit d'un travail, d'efforts souvent méconnus. C'est aussi un gagne pain, que vous le vouliez ou non. Si vous organisez une distribution de saucisson en rondelles dans une classe, vous aurez forcément acheté le saucisson au préalable, et cela ne vous aura pas choquée.
J'ai choisi l'exemple livre/enseignant pour conclure le billet parce que je le connais bien. Il illustre à mon avis avec simplicité la frontière entre utilisation privée anodine et détournement abusif d'un travail.
Dans le contre-exemple que vous donnez, lire un texte à une classe, c'est faire partager votre lecture personnelle, votre plaisir supposé. On revient presque à une démarche familiale, et cela a existé de tout temps. Multiplier le texte, c'est fabriquer des objets destinés à remplacer gratuitement ceux qu'il aurait fallu acheter. Et du coup, c'est entrer dans un processus de dépouillement de l'auteur. Vous créez des copies de son travail (car le travail de l'auteur c'est le texte, le récit immatériel, davantage que le livre), des contrefaçons dont il ne tirera pas le mince salaire auquel il a droit.
Martine, la réponse de la blogosphère est lente à démarrer, mais elle viendra. Il faudrait par contre que le tout ou rien, l'aveuglement, n'y soient pas dominants.
Homer, pirates ou pilleurs, petits ou grands, le résultat est le même: c'est comme si on t'obligeait à bosser un certain temps sans être payé. Quant à Hadopi, l'intolérable vient notamment de l'atteinte à la vie privée que cette loi voudrait faire admettre.
Le-gout-des-autres, la dernière partie de ton commentaire décrit bien le sac de nœuds représenté par cette affaire. Le citoyen de bonne foi risque de faire les frais des manipulations et petits arrangements des pouvoirs divers.
voir aussi http://www.google.com/reader/view/feed/http%3A%2F%2Fblog.lefigaro.fr%2Fhightech%2Fatom.xml#stream/feed%2Fhttp%3A%2F%2Fblog.lefigaro.fr%2Fhightech%2Fatom.xml
excellent résumé de la situation
Martine, je viens de lire le billet en question qui résume bien en effet les limites de ce black-out. Mais je regrette qu'il n'aborde pas le problème de fond de l'irrespect de la création, lequel sert de prétexte au pouvoir pour chercher à contrôler le Net. Oui, le Web est un bouillonnement sympathique d'idées, de propositions, d'échanges, etc, où se développe une nouvelle culture populaire. C'est aussi un vaste océan de médiocrité, pour ne pas dire de merde: on peut se demander s'il est bien raisonnable de sacrifier pour sa défense les acteurs d'une culture plus exigeante.
Non, je me suis mal fait comprendre, je suis convaincue. Oui c'est un gagne-pain et je n'ai jamais dit le contraire. Il faut, et vous avez raison de le faire, rappeler qu'une création est un travail ! Je dis d'accord, je ronchonne, voilà tout. Parce que ma fameuse "liberté pédagogique" ainsi que ma formation "multipliez et diversifiez les supports" font la tête. Mais loin de moi l'intention de passer outre ces règles d'usage, que nous connaissons parfois mal, tout simplement.
En revanche vous me parlez d'acheteurs potentiels, éliminés parce que déjà possesseurs d'une copie, je suis moins convaincue, pour deux raisons :
- Un texte qui plaît on aime à y revenir dans son support original ;
- surtout, votre exemple parlait d'un livre épuisé dont vous éditiez des extraits sur un blog.
Toujours est-il qu'avant d'utiliser un texte de blog (imaginons...), n'importe quel enseignant "normal" demanderait évidemment à l'auteur au préalable...
Merci pour ces précisions concernant la lecture orale.
Marie-Georges, nous sommes donc d'accord sur l'essentiel. Pour l'objection que vous soulevez, sur que le lecteur séduit souhaitera retrouver le livre original, c'est sans doute vrai, mais il reste du moins que sur le principe, tirer des copies multiples d'un texte marque de la désinvolture vis à vis du travail qu'il représente…
Bon enfin, il n'est pas facile de faire le tour de la question… Et surtout merci à vous de votre intéret.
Le service public devrait songer à faire payer aux auteurs dont les jeunes dévorent les livres une taxe pour rémunérer les formidables sommes qui sont consacrées à leur faire découvrir la culture et dont parfois ils les dégoûtent. Un crime qui devrait relever de la contravention de grande voirie. C'est ce que les auteurs désinvoltes oublient parfois.
mtislav, coucou!
"Voltaire disait souvent : « La littérature est le premier des beaux arts mais elle est le dernier des métier. » Ce n’était pas le plus méprisable qu’il entendait, mais le plus misérable et surtout la littérature dramatique, en ce qu’elle est le seul métier qui ne puisse nourrir son maître, par l’insuffisance des lois ou le dédain des magistrats à protéger cette noble propriété, quoiqu’on sache bien qu’aucune autre ne mérite autant qu’elle ce beau nom de propriété puisqu’elle n’est le fruit ni d’un honteux trafic ni d’une oiseuse hérédité, puisqu’elle est sortie du cerveau de l’auteur toute formée, comme jadis Minerve sortit de celui du maître des dieux ; sublime emblème par lequel les anciens voulaient qu’on saisit la manière dont une conception heureuse est la propriété sacrée de l’homme qui la met au jour." écrivit un jour Beaumarchais sous le Directoire.
Le sociétés d'auteurs défendent-elles vraiment les auteurs ? Ne participent-elles pas ainsi que les groupes de distribution à une spoliation en règle des auteurs en restant pour ainsi dire oisives au regard des pourcentages qu'elles perçoivent ? Spoliation légale ou illégale, j'ignore s'il faut choisir, je m'interroge seulement sur la loi, pour dire de quel droit ?
Daud, merci de ce commentaire! Mais tu te trompes lourdement sur les sociétés d'auteurs. Comme leur nom l'indique, elles sont constituées d'auteurs, auxquels elles redistribuent certains droits. Je suis par exemple membre de la SOFIA, qui me reverse les droits sur le prêt en bibliothèques…
Je prends acte de mon erreur et tâcherai de m'informer mieux sur ce point. Mon erreur est-elle si lourde pour autant ? Il n'y a pas meurtre quand même.
J'ai parlé d'un seul a priori perçu au regard de sociétés s'occupant d'œuvres musicales, confirmé par mes récents échanges avec quelques musiciens.
Si j'ai tiré un enseignement général d'une discussion, c'est que je perçois d'une manière générale les intermédiaires comme des personnes vivant sur le dos des artistes un peu à la manière des autres modes de distributions dont l'équitabilité est pour le moins discutable.
Je retiendrai qu'il me faut éviter les amalgames.
Daud, en effet, le lourdement était de trop. ;-)
Il y a simplement une vraie méconnaissance de ces choses dans le public. Sur la SACEM et la musique, par contre, je ne connais rien…
Excusez ma réponse tardive.
Je n'ai pas le sentiment d'avoir trahi le propos du bouquin de Lessig et Hadopi a été traité dans plusieurs endroits du journal dans ce numéro 18. Il y avait un chapitre dans le livre sur les propositions, mais il était technique et long. Compliqué à résumer. Je ne pense pas que la lecture de la page consacré à Lessig ne peut laisser penser qu'il s'agit d'un partisan ultra anti-propriété.
Vous parlez de désinvolture ? Sûrement pas. J'ai passé du temps sur cette page. J'aurais sans doute pu faire mieux. Mais je pense avoir contribué au débat et fait connaître un bouquin intéressant à nos lecteurs. Plus quelques blogs sur le sujet. J'ai eu des appréciations positives de la part de personnes qui connaissent bien ce sujet (et qui, comme vous, n'hésite pas à critique Vendredi quand ils ont quelque chose à lui reprocher.
Le livre est téléchargeable gratuitement sur le net, comme indiqué dans le journal.
Merci de nous lire,
JR
PS. Un élément de réflexion sur Hadopi venant du regretté Charlie Parker. "Le faux musicien emprunte, le vrai musicien vole".
Rosselin, je n'ai pas vu dans cet article une trahison du bouquin de Lessig (je ne le connais du reste pas encore), mais j'ai trouvé que le choix d'extraits démontrant les abus de la propriété intellectuelle, associé à des billets dont la tonalité d'ensemble se bornait à la seule condamnation d'Hadopi, sans s'interroger sur le sort des créateurs, caressait un peu trop l'internaute dans le sens du poil… Par exemple, la protection des brevets des médicaments, qui soulève à juste titre l'indignation, n'a rien à voir avec les problèmes de piratage sur internet. En parlant de désinvolture, je ne visais nullement la qualité de votre travail, incontestable, mais l'impasse où vous avez oublié le droit d'auteur. Et j'admets que dès lors qu'on s'adresse en priorité à des lecteurs internautes, majoritairement jeunes sans doute, c'est un sujet inconfortable. Je suis moi-même partagé entre l'indignation que m'inspire le flicage impliqué par Hadopi, et l'agacement de voir combien le travail de création est maltraité —d'abord parfois par les «industriels» qui le diffusent et le rétribuent médiocrement, ensuite par le public qui ne le reconnaît pas, ce travail.
Enfin, cette divergence de vues n'était en rien une critique négative de votre journal, que je continue et continuerai à lire avec un vif intérêt.
Je vous remercie d'avoir pris la peine de me répondre.
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