jeudi 4 mars 2010

Respectables banquiers

Le micro-crédit va-t-il devenir une panacée, dans la crise économique mondiale, et permettre aux états de se défiler devant leurs responsabilités? En tout cas, il se développe vigoureusement et gagne même le monde virtuel.

Mtislav, comme Nicolas et Romain Blachier, s'est fait le porte-voix dans son dernier billet du site Veecus, et m'invite à donner mon avis sur celui-ci. L'activité de Veecus étant à priori sympathique, je me plie volontiers à l'exercice, tout en notant d'emblée qu'il ne me semble pas facile de définir d'un mot simple ce qu'est… Veecus. J'ai lu Mtislav attentivement, j'ai exploré le site… Ça a la couleur d'une banque —si vous devenez membre, vous aurez un compte et un portefeuille—, mais ce n'est pas une banque. Ça n'est pas non plus une ONG, même si Veecus travaille avec certaines d'entre elles, et ça n'est pas une organisation charitable. C'est «un réseau de microfinance peer-to-peer (entre particuliers)».

Vous l'aurez noté, j'aborde le sujet avec des réticences, et je me propose de commencer par l'évocation des choses qui me gênent, avant de terminer sur le côté largement positif des choses… D'abord, Veecus est bel et bien une entreprise, avec deux jeunes fondateurs bardés de diplômes et passés par la banque. Et alors, penserez-vous, si vous avez un peu de jugeote, quelle importance si les résultats sont là? Aucune! Juste du désenchantement acquis avec les années, à l'idée du parcours prévisible de ces jeunes gens au cœur sur la main. Je me souviens de B. Kouchner, je sais que la moitié au moins des fringants blogueurs républicains de gauche d'aujourd'hui dériveront à droite, aussi sûr que 2 et 2 font 4. Les brillants louveteaux pleins de nobles certitudes me rendent méfiants, c'est comme ça.

Pourquoi m'arrêter à ces considérations superflues? Parce que deux ou trois bricoles m'ont agacé, et qu'elles me semblent le germe de ce que je viens de dire. Il y a une foire aux questions sur le site, dont celles-ci: «A quel taux d'intérêt les institutions de microfinance prêtent-elles?», et «comment Veecus gagne de l'argent?»
La première question n'a pas de réponse, simplement la justification de taux d'intérêts par la lourdeur des frais engagés, supérieurs à ceux d'une «banque classique». Aucun chiffre. À la seconde question, la réponse est franche et précise: les prêteurs acquittent un droit d'inscription, et les institutions de micro-finance qui attribuent les prêts reversent une commission à Veecus, lui constituant un revenu.
À ceci, comme au reste des explications fournies aux prêteurs, on voit que le fonctionnement de Veecus s'apparente à une entreprise financière, avec des gens qui placent leur argent, et sont invités à suivre attentivement le devenir de leur portefeuille de bonnes actions. Pour un peu, on se croirait dans «Le fil du Seigneur», dont je parlais hier.

Dernière chose qui m'a gêné: j'ai regardé à titre d'exemple une demande de prêt. Elle émanait d'une dame Cambodgienne, lancée dans une affaire de plats cuisinés. C'est une femme indéniablement courageuse, qui mérite attention et respect. On consulte sa fiche, et l'on sait où elle vit, le nombre de ses enfants, combien sont mariés et combien étudiants, ce que fait son mari, sa réputation… Bref, là encore, pour des raisons toutes personnelles, j'ai ressenti de l'embarras.
Je me suis revu jeune, durant les quelques mois que j'ai passés dans un organisme de crédit, à une époque où le crédit-révolver-sur-la-tempe n'existait pas encore. Nous avions pour chaque candidat emprunteur des espèces de fiches manuscrites où était noté ce genre d'informations, les autres crédits déjà en cours, et les appréciations du banquier, de la concierge, de bons voisins, du notaire —mais oui, souvent du notaire! Je n'ai pas trop goûté cette activité, et d'en retrouver la version moderne. Le monde entier peut connaître une partie de l'intimité de Mme X…

Je me suis étendu plus que je n'aurais dû sur mes réserves. Il reste que dans les pays du sud, des milliers de gens ne demandent qu'à pouvoir créer leur micro-entreprise et sortir de la misère. À nos yeux, leurs attentes paraissent souvent modestes: 300 €, 600€, à emprunter sur quelques mois… Grâce à Veecus qui se charge d'un travail ingrat d'intermédiaire, dont il faut tout de même reconnaître le mérite énorme, nous pouvons leur prêter 20, 40 euros ou davantage, et le petit capital dont ils ont besoin sera bientôt atteint avec le concours de plusieurs prêteurs. Nous serons intégralement remboursés, bien entendu, puisqu'il s'agit d'un prêt (voir les modalités sur le site).

À la différence de l'assistance qu'il nous arrive d'apporter à travers nos dons, les personnes que aidons alors ont un projet d'activité précis. Elles ne sont jamais passives, mais au contraire animées de la volonté d'entreprendre. De plus, ces contributions ne sont pas anonymes, puisque nous savons dès le départ qui sont les personnes que nous allons épauler, et que nous suivrons au fil des mois les progrès de leur activité.
Donc, comme dans toutes les opérations de prêt, même d'une banque honorable comme celle-ci, à la fin nous serons remboursés. Je ne suis pas certain que ce soit un réel soulagement pour la plupart des petits prêteurs de récupérer 40€, mais je ne doute pas qu'à l'autre bout, au Cambodge, au Cameroun, ou ailleurs, celui ou celle qui se sera tiré de la pauvreté sera fier de son travail. Alors, en définitive, bravo Veecus!

P-S, Hermes est d'une humeur de cochon, avec l'art contemporain… Ferocias nous présente le dernier nanar précolombien… Céleste nous propose des rencontres à Bangkok… Rimbus nous offre une vidéo de la conférence de presse du No Sarkozy Day.

13 commentaires:

Gildan a dit…

"Nous avions...des espèces de fiches manuscrites" : c'est quoi des 'fiches manuscrites' ;^))))

Sinon, j'avais remarqué ça (veecus)dans le bandeau chez Nicolas, j'avais cliqué et jeté un coup d'œil; merci pour cet éclairage!

Le_M_Poireau a dit…

Tu as tout bon, d'un bout à l'autre ! Et sur la question des taux, de l'argent gagné au passage (ou non !) et bien sûr sur l'utilité sociale du bouzin !
Je note qu'avec des boîtes comme le crédit coopératif, on peut financer en local, la création d'activités aussi !
:-))

[Finalement, avec mon article, je suis synchro aussi. Heureux hasard ! :-)) ].

Le coucou a dit…

Gildan, des bouts de papier, par opposition aux fichiers informatiques, qui sont parfois divisés en fiches, voire en cartes —selon le lexique des créateurs de logiciels…

M.Poireau, merci. J'étais un peu dubitatif, au moment de publier… L'ambiguïté du truc, c'est que plus il y a de prêteurs, plus la "banque" prospère, mais bon, pourquoi pas?
Le crédit coopératif, c'est surtout valable dans les pays occidentaux, il me semble…
Je n'ai pas encore lu ton article, mais ça ne saurait tarder: je l'ai au chaud dans un onglet.

mtislav a dit…

Je préfère encore ces banquiers à d'autres... Ou à des tontines qui enchaînent les prêteurs à leur aimable famille. Je crois qu'il n'y a pas trop de scrupules à nourrir de telles entreprises même si cela reste utile d'en évaluer les retombées réelles.

Le coucou a dit…

Mtislav, là-dessus, aucun doute et je pense que tout le monde ne peut qu'être d'accord. Vive ces banquiers là! La petite réserve que l'on peut faire sur le fond, c'est que cela n'aidera jamais qu'une minorité d'individus, dans des océans de pauvreté.

Ferocias a dit…

Et supprimer l'argent pour le remplacer par des cabosses? non? :)

Le coucou a dit…

Ferocias, c'est une idée, mais certains en viendront très vite au trafic de cabosses, quand même!

Nicolas Jégou a dit…

Ah ! Le sujet à la mode !

Captainhaka a dit…

http://www.ifrap.org/Du-micro-credit-aux-propheties-Jacques-Attali-a-tout-faux,0368.html

Planet Finance ou comment Crazy George endosse l'habit vertueux de l'abbé Pierre.
Attali court-il après Yunnus et le nobel ?

Le coucou a dit…

Nicolas, et qui a lancé la mode dans la blogosphère?

Captainhaka, excellent ton lien! L'article est long, mais il mérite largement d'être lu avec attention.

romain blachier a dit…

Avec quelques gouttes on fait les grandes rivières.

romain blachier a dit…

tu t'es planté sur le lien sur le blog de nicolas

Le coucou a dit…

Romain, bien sûr, et heureusement! (merci pour le lien fautif, j'ai corrigé. Mieux vaut tard…)