lundi 14 mars 2011

Sarkozy et le lièvre de mars

Kadhafi écrase peu à peu son peuple révolté, comme la CIA l'avait prévu, avec sans doute la plupart des services spéciaux à travers le monde. Pendant ce temps, les gouvernements européens n'en finissent plus de tergiverser sur l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne. On dirait une tragi-comédie, sauf que le dénouement risque fort d'en être malheureux.

Et si c'était réellement une comédie que nous jouent Sarkozy et ses comparses dirigeants des autres états concernés ? Les opinions publiques européennes voient les révolutions arabes plutôt d'un bon œil, particulièrement l'insurrection contre la dictature du fou des sables libyen. Ce n'était pas le moment d'étaler au grand jour le cynisme d'états qui, au fond, s'accommodaient très bien de Kadhafi, son pétrole, ses dollars, sa poigne de fer, ses délires. Lorsqu'il l'avait invité en 2007 à venir faire du camping sauvage à Paris, Sarkozy savait parfaitement, et depuis longtemps, que son hôte était un dément sanguinaire.

Que s'est-il passé pour qu'il change brusquement d'avis ? Il y a eu le scandale tunisien de MAM, celui de Fillon en Egypte —opportunément escamoté—, et la baisse irrémédiable jusqu'à présent de sa popularité. Sarkozy, pragmatique, en tire les leçons. On sait d'autre part combien cet homme est porté à récupérer la sympathie populaire à l'égard d'un événement —souvenez-vous de la mise en scène impudente organisée autour de la libération d'Ingrid Betancourt.

Une révolte survient en Libye, regardée comme une divine surprise par les Français : l'occasion est belle de surfer sur la vague de ferveur médiatique. D'autant plus que cela peut se faire à bon compte, puisqu'il suffit d'adopter une posture théâtrale sans risque : Sarkozy appelle à clouer les avions de Kadhafi au sol. Il sait que par réflexe, la tribu des gens de pouvoir n'aime pas voir les peuples déboulonner un collègue, fut-il un dictateur. Il se pourrait même qu'aucun dirigeant au monde ne souhaite sincèrement la chute de Kadhafi : en matière de pétrole comme pour tout le reste, mieux vaut tenir que courir.

On va palabrer des jours durant, évoquer la lourde machinerie de l'ONU, s'abriter derrière les obstructions russes et chinoises, en attendant que la situation soit renversée sur le terrain. Rien ne prouve que ce soit le cas, mais on dirait que ces messieurs dames d'état se sont partagés les rôles d'une tragi-comédie.

P-S : sur la catastrophe au Japon, j'ai lu aujourd'hui les billets de Manuel, qui connaît bien ce pays, et ceux de Yann-Savidan, et Falconhill

6 commentaires:

Captainhaka a dit…

Si par malheur Kadafi reprenait la main, outre les exactions qu'il commettra contre les insurgés et ses concitoyens, il restera la parole précipitée de la France portée par les hoquets guerriers de son président.
Tu as raison de dire que tout cela n'est que du pipeau.

Nicolas Jégou a dit…

Le pire est que j'imagine très bien Kadhafi mater ses opposants... et être reçu en grandes pompes, dans six mois, en France...

isabelle B. a dit…

pour se faire pardonner de son impudence notre président devrait lui offrir un joli navion ;-)

Ferocias a dit…

Que d'erreurs tout de même: rater les révolutions plutôt aisées de Tunisie et d'Egypte, accompagner celle qui a toutes les chances d'être écrasée dans le sang en Lybie. Drôle de diplomatie...
Je ne suis nullement expert mais il me semblait bien que Ben Ali pouvait facilement tomber (pour des tas de raison: proximité avec l'occident de la part des Tunisiens, soutien de la diaspora, part du tourisme, attachement à la démocratie,...) et que d'autres pourraient encore suivre mais que pour Kadhafi ce ne pouvait être la même chanson. D'un côté un pouvoir policier (donc civil malgré tout), de l'autre un pouvoir militaire.
Mais bon n'est pas BHL qui veut...

Le coucou a dit…

Captainhaka,
je serai vraiment curieux, le moment venu, de connaître l'analyse d'observateurs qualifiés et indépendants sur les motivations réelles de l'inaction des états. Peur de réveiller le terrorisme, de déséquilibrer durablement le marché du pétrole ? En tout cas, objectivement, l'indignation des gouvernants pue l'hypocrisie.

Nicolas,
six mois, c'est un peu court, mais six ans par contre…

Isabelle,
un avion avec un équipage de jolies filles :-))

Le coucou a dit…

Ferocias,
oui, mais justement : ce sont les erreurs commises avec la Tunisie s'ajoutant à son impopularité qui ont dû pousser Sarkozy à adopter cette position. Sans doute espère-t-il y gagner dans l'opinion publique une image d'homme d'état courageux : peu importe que cela soit sans risque et simple gesticulation, comme toujours. Il saura le moment venu transformer ça en mérite.