mardi 13 mai 2008

Mai 68

L'ai-je déjà dit ? Je ne commémore pas volontiers, à cause du caractère officiel des cérémonies peu compatible avec une émotion sincère… Il y a les commémorations des guerres passées qui me serrent le cœur, pourtant, comme à n'importe qui, si je me rappelle mes morts. Il y a ensuite la commémoration historique de notre liberté, le 14 Juillet ; fête Nationale qui m'énerve, parce que les municipalités ont de plus en plus tendance à l'organiser le 13 Juillet, la vidant un peu plus de son sens chaque année. Il y a ensuite celles qui sont plutôt empreintes de la légèreté des anniversaires, comme Mai 1968, cette année… Là, si j'étais fidèle à moi-même, je devrais m'en moquer complètement, parce que ce retour sur des émotions quarantenaires me concerne peu, j'ai vécu depuis lors d'autres instants qui m'ont également marqué. Oui, mais voilà : il y a la sottise de Sarkosy qui n'a jamais rien compris, qui ne comprendra jamais rien à cette révolution dans la joie. L'emballement de la jeunesse entraînant un moment le pays derrière elle. Et Sarkosy me donne envie de parler de ça. J'ai égaré mes archives de l'époque, je ne me souviens plus des dates exactes, mais il y a une chose que je voudrais faire, rendre un tout petit hommage, quarante ans après, à un vieux couple dont j'ignore le nom. C'était à Paris, au moment où les CRS venaient de faire tomber la barricade de la rue Gay-Lussac. On se repliait en courant vers le fond de la rue dans l'atmosphère irrespirable des gaz lacrymogènes, des rumeurs plus ou moins fondées couraient : les rues alentour étaient bouclées, les flics matraquaient… Bref, tout le monde cherchait refuge au plus près. J'entrai derrière d'autres dans un immeuble, et bientôt me retrouvai à l'abri d'un petit appartement douillet, dont les occupants nous avaient ouvert la porte. Nous étions bien une vingtaine, serrés sur le tapis d'un salon désuet, soulagés. Je me souviens d'un piano, de murs couverts de livres, de tableaux, et d'une vieille dame fragile, petite, un peu pâle, qui nous contemplait d'un air éberlué. Son mari était là aussi, taciturne, les cheveux blancs et rares, le regard distrait. Au bout d'un moment je me suis endormi sur le tapis, et il faisait grand jour lorsqu'on m'a éveillé en disant que c'était fini, que nous pouvions sortir. Nous avons remercié le couple avec effusion, et moi je suis parti. Je m'étais promis de revenir avec des fleurs quand tout serait vraiment terminé. La révolution. Et de temps en temps, de loin en loin, je me suis souvenu de cette promesse jamais tenue. Ils ont sans doute disparu depuis longtemps, il ne me reste plus que ces mots à leur offrir, où qu'ils soient.

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